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Russie/Chine

La diplomatie du panda profite-t-elle vraiment à sa protection?

Depuis plus de soixante ans, la Chine donne et prête de nombreux pandas à des pays étrangers. Cet animal menacé est devenu un instrument des relations diplomatique du pays.

La diplomatie du panda joue en faveur de la politique chinoise, mais pas nécessairement en faveur de l'animal (image d'illustration).
La diplomatie du panda joue en faveur de la politique chinoise, mais pas nécessairement en faveur de l'animal (image d'illustration). Sputnik/Alexander Vilf/Kremlin via REUTERS
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Par Sophie Hanck

Au mois d’avril 2019, le zoo de Moscou recevait un couple de pandas de la part de la Chine. En 1957, la Russie avait été le premier pays à bénéficier du don d’un panda par la République populaire de Chine.

Pourquoi le panda, espèce menacée, est-il si prisé depuis soixante-deux ans ? Et quel impact cette pratique a-t-elle sur sa conservation ? Presque inconnu il y a encore un siècle, le panda est aujourd’hui devenu pour la Chine, un instrument de projection de son soft power à l’étranger, un visage plus avenant de sa politique étrangère.

Première rencontre

Adorable et maladroit, le panda est aujourd’hui universellement apprécié : emblème du Fonds mondial pour la nature (WWF), héros du film d’animation Kung Fu Panda, véritables stars des parcs zoologiques, le panda nous est désormais familier. Mais au XIXe siècle, le panda est plutôt une bizarrerie scientifique que la vedette des zoos.

Nous avons profité de l’installation de deux spécimens historiques de pandas au Muséum d’histoire naturelle, pour rencontrer Cécile Callou, conservatrice au Muséum, qui nous en a dit un peu plus sur l’histoire du panda. Dans le cadre du parcours Chine, présentant dix espèces végétales et animales chinoises au Jardin des Plantes, ces pandas sont visibles par le public aux côtés des 250 autres espèces de la salle des espèces menacées et disparues.

Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que l’Occident découvre le panda, grâce aux travaux d’un missionnaire lazariste, qui en fait une première description lors d’un voyage en Chine en 1869. Le père David arrive en Chine en qualité d’évangélisateur, mais aussi de zoologiste et naturaliste pour le compte du Muséum.

S’il décrit le panda scientifiquement pour la première fois, « cette espèce est déjà connue des populations locales depuis longtemps », nous rappelle Cécile Callou, en nous décrivant les voyages du missionnaire : ce sont des chasseurs locaux qui amènent au père David l’ourson et la femelle qui serviront à la première description de cette nouvelle espèce, lors d’une expédition dans le Sichuan. Le père David s’empresse de faire parvenir leurs peaux au Muséum, qui les naturalise.

Ils sont exposés depuis peu dans la salle des espèces menacées et disparues: en parfait état de conservation, ils témoignent de la première rencontre entre l’étranger et le panda. Pourtant, ce dernier intéresse à l’époque beaucoup moins la communauté scientifique que d’autres spécimens observés par le père David, tel qu’Elaphurus davidianus, auquel il donne son nom.

Peu à peu, néanmoins, le panda s’est affirmé comme animal à part, d’abord en tant que curiosité biologique, puis comme véritable trésor national pour la Chine, et égérie des zoos étrangers qui l’accueillent. Les ours du père David sont désormais bien plus que des curiosités aux airs de peluche : la République Populaire de Chine en a fait d’influents émissaires, qu’elle envoie aux quatre coins du monde.

Des pandas au Muséum national d'Histoire naturelle
Des pandas au Muséum national d'Histoire naturelle MNHN/JC Domenech

Le panda diplomate

Ces pacifiques pensionnaires des zoos du monde entier sont en effet les protagonistes de ce qu’on appelle généralement la « diplomatie du panda ». Cette stratégie diplomatique chinoise consiste à louer des pandas à des pays étrangers pour des périodes de dix à quinze ans, en échange de sommes importantes d’argent (la France loue par exemple ses pandas 750 000 euros par an).

Ces prêts sont censés symboliser la bonne entente des deux nations, et sont toujours des évènements d’importance. Au début du mois de juin, Vladimir Poutine inaugure avec Xi Jinping la maison des pandas du zoo de Moscou, où sont arrivés fin avril un couple de pandas. Il considère que ce geste est « un signe de respect particulier pour la Russie ».

Cette dernière n’est d’ailleurs que le dernier pays en date à recevoir un couple de panda. La Chine pratique la diplomatie du panda depuis les années 1950, et l’extension progressive de ses relations diplomatiques dans les décennies suivantes est ponctuée de dons de pandas. Ainsi, en 1972, un couple de pandas est offert aux États-Unis, signe de réchauffement des relations entre les deux pays.

Bien que les modalités de prêt aient changé, passant du don à la location à court terme, puis à long terme aujourd’hui, le principe de la diplomatie du panda reste à peu près le même. Le panda présente au monde un visage avenant de la Chine, et favorise les rapprochements diplomatiques, et plus récemment, les partenariats commerciaux.

Une étude de l’université d’Oxford, publiée en 2013 dans la revue Environmental Practice souligne la coïncidence entre l’arrivée de pandas et la signature de contrats commerciaux importants entre la Chine et le Canada, la France, l’Écosse ou encore l’Australie, ainsi que d’accords de libre-échange avec des pays asiatiques voisins.

La prépondérance des considérations politiques dans le prêt de ces oursons se confirme quand on regarde d’un peu plus près les polémiques suscitées par la diplomatie du panda. En 2005, la Chine offre à Taiwan un couple de pandas. Ce don avait suscité la méfiance de nombreux Taïwanais, voyant ce don comme une menace vis-à-vis de la souveraineté de l’île. En 2010, la Chine avait aussi demandé le rapatriement des pandas du zoo de Washington, à la suite de la rencontre entre Barack Obama et le Dalaï Lama.

Dans son ouvrage Panda Nation : The Construction and Conservation of China’s Modern Icon paru en 2018, E. Elena Songster, chercheuse au St. Mary’s College of California, décrit le panda comme un véritable « instrument de la diplomatie » et un symbole de la République Populaire de Chine.

Vladimir Poutine et Xi Jinping à la cérémonie d'accueil du couple de pandas Ru Yi et Ding Ding, au Zoo de Moscou, 5 juin 2019
Vladimir Poutine et Xi Jinping à la cérémonie d'accueil du couple de pandas Ru Yi et Ding Ding, au Zoo de Moscou, 5 juin 2019 ALEXANDER VILF / SPUTNIK / AFP

Captivité et réintroduction

La Chine cherche depuis des années à améliorer son image sur le plan environnemental. Si elle utilise la diplomatie du panda pour appuyer ses intérêts, cette dernière a néanmoins un impact positif au niveau de la protection de cette espèce.

La Chine a fourni de véritables efforts dans la conservation de cette espèce, encouragée par la popularité du panda à l’étranger. Les sommes issues de la location des pandas à l’étranger sont destinées à la conservation, mais l’on ne sait pas avec certitude comment elles sont dépensées.

Avec la création de nouvelles réserves naturelles, des programmes de reforestation et une lutte contre le braconnage, les efforts entrepris depuis les années 1980 par la Chine pour protéger sa biodiversité ont démontré leur efficacité. En 2016, l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) a fait passer le panda du statut « en danger » à celui de « vulnérable ». Mais ces efforts ont toutefois des limites, l’habitat naturel des pandas reste menacé.

Cécile Callou nous explique que le panda « n’est pas très friand de la proximité de l’homme », et que « du point de vue de son environnement, il a besoin de forêts anciennes », et d’énormément de bambou, sa principale source d’alimentation. Or, malgré les efforts de reboisement « la zone naturelle du panda a tendance à se restreindre », du fait de la lenteur du processus de reforestation, de l’urbanisation, de l’activité humaine et de la fragmentation de ses zones d’habitat.

D’autre part, ces menaces sur l’habitat s’accompagnent de difficultés à réintroduire le panda dans la nature. En effet, sa conservation passe en grande partie par les naissances et l’élevage en captivité, ce qui a permis à la population de pandas d’augmenter. Il entraine néanmoins une certaine dépendance de l’animal vis-à-vis de l’humain, ce qui complique la réintroduction.

Selon Cécile Callou il est « dommage d’avoir des animaux qui sont exclusivement ou très majoritairement dans des zones sous contrôle ». Ainsi, si les centres de protection continuent d’encourager les naissances, les petits pandas ne sont pas immédiatement destinés à la réintroduction. En revanche, ils pourront être envoyés auprès de zoos étrangers dans le cadre de la diplomatie du panda, ou alors satisfaire les touristes venus passer la journée avec les oursons dans les centres de protection.

Nous avons interrogé la présidente de l’association Code Animal, spécialisée dans la lutte contre la captivité de la faune sauvage, qui confirme qu’il faudrait « privilégier la protection in situ », plutôt que d’élever des pandas qui auraient du mal à survivre par eux-mêmes. Mais la dégradation de leur habitat naturel rend la chose difficile.

Une marchandise

Notre conversation avec Alexandra Morette a en outre soulevé au sujet de la diplomatie du panda des interrogations moins souvent abordées. À ses yeux, cette pratique « transforme le panda en objet, en marchandise qu’on loue ». Elle proteste contre cet usage, soulignant qu’en 2019, « il y a d’autres moyens de mettre en place des partenariats diplomatiques que de louer des animaux, même si c’est une espèce emblématique de la Chine ».

Alors que la popularité du panda est pour beaucoup une manne, Alexandra Morette critique les zoos qui « capitalisent sur son potentiel mignon pour booster des ventes », en montrant au public « ce qu’il veut voir ou croit vouloir voir » et perpétuant la demande de pandas en captivité, plutôt que de promouvoir la conservation des individus en milieu naturel.

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