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Afghanistan / France

La terreur d’un ancien interprète afghan de l’armée française

Depuis que sa maison a été visée par des tirs, Said Abbas, ancien interprète de l’armée française en Afghanistan, vit dans la terreur. Il cachait son passé de traducteur dans son quartier de Kaboul, où la présence de talibans s’est accrue ces deux dernières années. Depuis l’attaque de sa maison, son secret n’en est plus un et sa vie ainsi que celle de ses proches sont encore plus en danger.

Said Abbas tient dans ses mains son certificat d’interprète et une lettre de recommandation du ministère de la Défense français.
Said Abbas tient dans ses mains son certificat d’interprète et une lettre de recommandation du ministère de la Défense français. © Sonia Ghezali / RFI
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De notre correspondante à Kaboul,

« Si j’avais été derrière la porte, je serai mort », souffle Said Abas devant son portail. Près de la serrure, la tôle bleu turquoise est perforée de quatre trous de deux centimètres de largeur. Ce 27 juin 2019, des hommes frappent violemment chez lui vers 23h. « "Ouvre la porte ou l’on te tue", crient-ils », raconte cet ancien interprète qui a travaillé entre mars 2004 et juillet 2012 pour l’armée française déployée en Afghanistan. « J’ai entendu l’un d’eux dire : "C’est sa maison", puis ils ont ouvert le feu », explique-t-il. Said Abas, resté derrière le mur près du portail, se rue dans l’escalier en fer, qui mène à une chambre à l’étage de sa maison. À l’intérieur, personne n’est blessé.

Depuis cette nuit-là, l’épouse de Said et leurs trois enfants ont trouvé refuge chez ses beaux-parents dans un autre quartier de la capitale afghane. Lui, les siens et ses sœurs vivent au même endroit. « Toutes les nuits, je m’attends à ce qu’ils reviennent et qu’ils réussissent à entrer dans la maison, cette fois-ci pour nous tuer », confie la sœur de Said d’une voix faible. « Chaque matin, quand je pars travailler, j’ai l’impression d’être suivie. Je me retourne sans cesse sur le chemin pour regarder derriere moi », explique la jeune femme, les traits tirés, l’air soucieux. Said, lui, ne gare plus sa voiture à l’extérieur. « J’ai peur que quelqu’un place une bombe sous ma voiture », lâche-t-il, précisant également avoir modifié ses horaires de sortie et de retour à son domicile situé à Tchelsetone, un quartier très sensible de Kaboul.

Des ex-interprètes afghans de l'armée française manifestent à Kaboul, le 10 janvier 2017.
Des ex-interprètes afghans de l'armée française manifestent à Kaboul, le 10 janvier 2017. WAKIL KOHSAR / AFP

À lire aussi : Quel avenir pour les anciens interprètes afghans de l’armée française?

« Il y a des réseaux talibans actifs et cachés »

Les arrestations de personnes liées à des groupes terroristes, surtout talibans, se sont multipliées ces deux dernières années dans ce quartier, confie une source sécuritaire afghane. Tchelsetone est une porte d’entrée de la capitale située à un carrefour qui mène aux provinces Logar et Wardak, où des combats récurrents ont lieu entre talibans et forces gouvernementales. Au commissariat de Tchelsetone, situé dans le district 7 de Kaboul, Ghaoussedine Sidiqi confirme la forte présence des insurgés : « Il y a des réseaux talibans actifs et cachés », dit-il. Ce responsable du contre-terrorisme dans le secteur explique : « Les terroristes ne font pas la différence entre leurs cibles. Que vous travailliez ou ayez travaillé pour le gouvernement, les forces de sécurité, une armée occidentale, une ONG ou l’ONU, c’est pareil. Vous êtes une cible. »

Toutes les nuits désormais, Said Abas monte la garde sur le toit de sa maison avec pour seule arme son téléphone portable. « Si je vois des hommes se présenter à mon portail, j’appellerai mes amis et mes voisins en espérant qu’ils viennent le plus vite possible », dit-il. Lui qui gardait secret son passé de traducteur pour l’armée française se sent plus menacé que jamais. « Tous mes voisins savent que j’ai travaillé pour des soldats étrangers maintenant », explique Said. Le soir de l’attaque, il a dû expliquer aux policiers qui se sont présentés chez lui les raisons pour lesquelles il pouvait être une cible, alors que plusieurs voisins du quartier avaient accouru sur place. Il est persuadé d’avoir été la cible des talibans et craint une nouvelle attaque à son encontre.

Des menaces rejettées par la France

La situation sécuritaire s’est graduellement et fortement dégradée dans le pays, notamment à Kaboul, la capitale, malgré les pourparlers de paix qui ont lieu entre les États-Unis et les représentants des talibans à Doha au Qatar depuis l’automne 2018. Les talibans ont étendu leur influence sur près de la moitié du territoire afghan, selon une récente étude américaine. Plusieurs anciens interprètes et auxiliaires de l’armée française font état de menaces dont ils sont victimes depuis le départ de l’essentiel des troupes étrangères en 2014. Une note confidentielle de l’ambassade de France à Kaboul datée d’avril 2019, et destinée au ministère des Armées, met en doute la véracité de leur propos. « Le fait qu’en huit ans, aucun des PCRL (personnels civils de recrutement local) n’ait été tué alors qu’ils ne disposent d’aucune protection particulière semble donc indiquer qu’il n’y a pas de menace avérée contre eux », peut-on lire. D’anciens interprètes tel Zaïnullah Oryakhail, qui a obtenu son visa il y a quelques mois après avoir réchappé à deux attaques, montrent pourtant le contraire. L’auteur de cette note poursuit : « Les talibans n’ont jamais officiellement exprimé de menaces à l’encontre de ceux ayant travaillé pour la coalition. » Des menaces ont pourtant bien été proférées à leur encontre par Zabihullah Mujahid, le porte-parole des talibans, dans un documentaire réalisé par Vice News, en juillet 2014.

Said Abas fait partie des 129 anciens PCRL, les personnels civils de recrutement local afghans, dont la demande de visa déposée l’an passé a été rejetée ou est restée sans réponse. En novembre 2018, il a cru qu’enfin, le ciel s’éclaircissait après avoir reçu un email de l’ambassade de France à Islamabad, au Pakistan voisin, le priant de se présenter avec sa femme et ses enfants « en vue de la délivrance de visas ». Il obtient des visas pour le Pakistan, achète les billets d’avion et s’envole pour Islamabad, où l’ambassade de France délivrait les visas pour les Afghans, l’ambassade à Kaboul étant trop endommagée à cette époque après l’attaque au camion piégé du 31 mai 2017. À la suite d’un entretien, Said Abas se voit indiquer qu’il peut repartir en Afghanistan. Aucun visa ne lui a été remis pour la France, sans explication.

Environ 800 interprètes ou auxiliaires ont été employés sous contrat local par les forces françaises durant leur présence en Afghanistan entre 2001 et 2012. 225 parmi ceux qui ont formulé une demande ont obtenu leur visa ; 280 ont vu leur demande rejetée ou sans réponse. Une commission Défense de l'Assemblée nationale a accepté d'ouvrir une enquête parlementaire à la demande des députés de La France insoumise (LFI) Bastien Lachaud et Alexis Corbière. Les travaux commenceront en septembre.

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