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Inde

Avec Modi, le nationalisme hindou consolide son emprise sur la société indienne

Avec la victoire écrasante aux législatives des hindouistes et de leur leader, le Premier ministre Narendra Modi, le nationalisme hindou assoit son pouvoir sur la société indienne. Qui sont les hindouistes ? Où se situent-ils sur l’échiquier politico-idéologique du pays ? Quels sont les enjeux de leur reconduction au pouvoir à New Delhi ? Focus sur le mouvement hindouiste, à l’occasion de la cérémonie d’investiture de Narendra Modi.

Narendra Modi (ici le 23 mai 2019 à New Delhi) a prêté serment ce jeudi pour un deuxième mandat de Premier ministre à la tête de l'Inde.
Narendra Modi (ici le 23 mai 2019 à New Delhi) a prêté serment ce jeudi pour un deuxième mandat de Premier ministre à la tête de l'Inde. © REUTERS/Adnan Abidi
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L’Indien Narendra Modi a été investi pour un second mandat de cinq ans à la tête de l’exécutif ce jeudi 30 mai 2019. Lors d’une cérémonie au palais présidentiel à New Delhi, le Premier ministre désigné a prêté serment, s’engageant à défendre la Constitution en sa qualité de chef du gouvernement. Selon nombre d’observateurs, la défense de la Constitution pourrait justement se révéler être le grand enjeu de ce nouveau mandat de Narendra Modi. La mouvance nationaliste identitaire à laquelle ce dernier appartient n’a-t-elle pas fait de la suppression des articles entiers de la Loi fondamentale l’alpha et l’oméga de ses combats politiques ?

Vers un « hindu rashtra ? »

Avec sa formation, le Bharatiya Janata Party (Parti du peuple indien, BJP), créditée de 303 sièges au Parlement renouvelé et avec une cinquantaine de sièges supplémentaires pour ses alliés, Narendra Modi a remporté une victoire historique. « Il a désormais les mains libres pour effectuer les changements législatifs qu’il rêve d’apporter et voire changer la Constitution. Mais voudra-t-il s’engager sur cette voie au risque de mettre en péril son agenda international ? Tel est le dilemme auquel il sera rapidement confronté », explique Sylvie Guichard, maître d’enseignement à l’université de Genève et spécialiste du nationalisme hindou.

Le BJP est le bras politique du mouvement nationaliste hindou. Depuis sa création en 1980, ce parti milite pour l’assimilation de la nation indienne à la majorité hindoue. « Les nationalistes hindous considèrent en effet que leur communauté représentant 80% de la population, l’identité indienne doit s’incarner dans leur culture », écrit le spécialiste de l’Inde et du Pakistan, Christophe Jaffrelot, dans  Le Monde diplomatique(1). Ils veulent transformer l’Union indienne en un « hindu rashtra » (« État hindou »), une nation dont la religion officielle serait l’hindouisme.

Nationalistes hindous du Bharatiya Janata Party (BJP) de Narendra Modi.
Nationalistes hindous du Bharatiya Janata Party (BJP) de Narendra Modi. REUTERS/Adnan Abidi

Or, la Constitution indienne, rédigée sous l’égide du parti du Congrès qui a conduit le pays àl’indépendance en 1947, est fondée sur une vision pluraliste et laïque du pays. Elle affirme l’égalité devant la loi de la majorité hindoue et des minorités, dont les plus importantes sont les musulmans (14%) et les chrétiens (2%). Elle consacre un nationalisme inclusif prôné par les pères fondateurs de l’Inde moderne (Mahatma Gandhi, Jawaharlal Nehru, B.R. Ambedkar), à mille lieues de la vision religieuse, connue sur le nom de l'«hindutva » (l'« hindouité »), que défendent les nationalistes hindous.

Aux origines de l'« hindutva »

L’hindutva est un courant ancien de la vie politique indienne. Pour retracer ses origines, il faut remonter aux mouvements de réforme de l’hindouisme, qui émergent à la fin du XIXe siècle en réaction à la colonisation britannique. Cette mobilisation des penseurs religieux est concomitante à la naissance en 1885 du Congrès national indien, qui incarnait pour sa part un mouvement de revendication classique pour la liberté politique et la souveraineté.

Fondé sur une démarche identitaire, le nationalisme hindou se définit par le retour d’une part aux valeurs anciennes de l’hindouisme de l’époque védique et la modernisation des pratiques religieuses, d’autre part. Les spécialistes parlent de « syncrétisme stratégique », signifiant par là une réinvention de la tradition pour résister efficacement contre la colonisation et le prosélytisme missionnaire. Paradoxalement, ce sont la communauté musulmane et l’Église catholique qui ont servi de modèles aux nationalistes pour leur cohésion supposée, alors que l’objectif des réformes était justement de contrer la présence dans le sous-continent de l’islam et du christianisme, qualifiées de religions étrangères.

C’est à V.D. Savarkar, considéré par le mouvement nationaliste hindou comme son premier théoricien, qu’on doit le corpus doctrinal sous-jacent à l’hindutva. Dans son livre-manifeste « Hindutva : Who is a Hindu ? », paru en 1923, Savarker s’appuie sur le triple critère de territoire, race et culture pour distinguer la majorité hindoue des minorités d’obédience musulmane et chrétienne. Selon cet idéologue de l’hindouisme identitaire, seuls les Hindous ont le droit d’être des citoyens à part entière de la nation indienne puisqu’ils puisent leurs références dans l’imaginaire culturel local. Les musulmans et les chrétiens (dont les ancêtres ont été convertis autrefois) peuvent se prévaloir des deux premiers critères, mais ne partagent pas les mythologies, les rites et les sacrements communs aux hindous. Il s’agit en l’occurrence d’un « nationalisme ethnique », par opposition au « nationalisme universaliste » de Nehru et de Gandhi.

Cette doctrine ethnique constitue la colonne vertébrale du mouvement nationaliste hindou. Les hindouistes voudraient voir la notion de nationalité indienne évoluer dans ce sens ethnique. Ils acceptent toutefois que l’Inde accueille sur son territoire des populations appartenant à des religions non autochtones à condition que celles-ci se fondent dans l’hindouité, c’est-à-dire se rendent aussi invisibles que possible et acceptent un statut de citoyenneté de seconde zone.

Le « sangh parivar »

Pour les analystes, l’écrasante victoire de Narendra Modi est le résultat de la banalisation de ce discours ethno-religieux de la suprématie hindoue. « Ce processus s’est accéléré sous le premier gouvernement de Narendra Modi qui a nommé, explique Sylvie Guichard, des adhérents à l’idéologie nationaliste hindoue à la tête d’institutions d’enseignement et de recherche, permettant d’influencer profondément l’opinion publique. » « On peut dire que les idées de l’extrême droite hindoue ont gagné la guerre sans un véritable débat d’idées ! », ironise la chercheuse.

En réalité, les discours d’affirmation de la suprématie hindoue sont présents en Inde depuis avant l’indépendance. Ils ont été véhiculés d’abord par des associations culturelles d’extrême droite tels que le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS – Association des volontaires nationaux). La création du RSS en 1925, par un certain K.B. Hegdewar, admirateur de Savarkar, constitue un moment important dans l’émergence d’un pôle nationaliste hindou dédié à la propagation de la notion de l’hindutva. Autour de cette organisation s’est créée au cours des années une nébuleuse ou plutôt comme le dit Sylvie Guichard « un réseau tentaculaire d’organisations », appelée « Sangh Parivar » (« famille du RSS »). Elle comprend, outre la branche politique qu’est le BJP, une soixantaine d’organisations quadrillant les secteurs clefs de la société indienne : religion, jeunesse, syndicalisme, paysannerie, travail social, promotion de la femme.

Matrice idéologique du nationalisme hindou, le RSS se caractérise par un dense maillage de l’espace social, politique et physique, avec ses 4,5 millions de membres répartis entre 50 000 cellules (shakas) où se tiennent des séances d’entraînement sportif et paramilitaire qui ne sont pas sans rappeler les Chemises noires italiennes de Mussolini. L’objectif du RSS est de réformer en profondeur la société indienne, soit « ré-hindouiser la société ». À cette fin, il combine la propagande avec un message souvent agressif susceptible de déboucher sur des actions violentes visant en particulier les musulmans, qui sont considérés comme la principale menace à la population et la culture hindoues. Cette tendance à la violence a valu au RSS d’être plusieurs fois interdit, avant et après l’indépendance, notamment après l’assassinat de Gandhi 1948 perpétré par un ancien membre du RSS.

Agenda clivant du mouvement hindo

Certaines des  dernières cendres connues du Mahatma Gandhi, gardées secrètement par un proche, ont été immergées au large de l'Afrique du Sud, le 30 janvier 2010.
Certaines des dernières cendres connues du Mahatma Gandhi, gardées secrètement par un proche, ont été immergées au large de l'Afrique du Sud, le 30 janvier 2010. Reuters/Rogan Ward

L’assassinat de Gandhi par l’un des siens est un tournant pour le RSS. Ce dernier est interdit par Nehru. Pour éviter la marginalisation, les leaders du RSS créent en 1951, leur première antenne politique, le Bharatiya Jana Sangh, et espèrent voir leur sensibilité mieux représentée dans le jeu électoral.

Il faudra toutefois attendre la période de l’état d’urgence (1975-1977) pour voir les nationalistes s’intégrer dans le système politique indien. En effet, c’est dans les geôles d’Indira Gandhi que l’extrême droite gagne sa légitimité démocratique. À leur sortie de prison, les dirigeants du parti s’allient avec l’opposition au Congrès qui provoqua aux législatives de 1977 la première alternance dans l’histoire postcoloniales indienne. Certes, ce gouvernement n’ira pas jusqu’au terme de son mandat, mais les décennies qui suivent ont été favorables au nationalisme hindou représenté désormais par le BJP, le successeur du Jana Sangh.

Dans les années 1980-1990, ce parti profite du raidissement identitaire dans la société indienne et du déclin du « système congressiste » pour s’imposer comme la force alternative au Congrès. Il réussit par ailleurs à asseoir sa popularité au-delà de son électorat urbain et de haute caste et à étendre jusque dans le sud son audience géographique, restreinte pendant longtemps dans la « cow belt » au nord.

Désormais, les passages au pouvoir fédéral du BJP (1998, 1999-2004, 2014-2019) se suivent, mais ne se ressemblent pas. Au cours de ses premiers mandats, le parti de l’extrême droite exerce le pouvoir dans le cadre des coalitions qui limitent sa marge de manœuvre pour la mise en place de son agenda. Les points essentiels de cet agenda sont l’abrogation de l’article 370 de la Constitution accordant un statut particulier au Cachemire, la construction à Ayodhya d’un temple consacré au dieu hindou Rama sur l’emplacement de la mosquée Babri détruite par les nationalistes hindous en décembre 1992 et la mise en place d’un Code civil uniforme, c’est-à-dire l’abolition des dispositions spécifiques aux chrétiens et surtout aux musulmans.

Le site d'Ayodhya est, depuis des siècle, l'objet d'un conflit entre hindous et musulmans en Inde.
Le site d'Ayodhya est, depuis des siècle, l'objet d'un conflit entre hindous et musulmans en Inde. AFP PHOTO/ SANJAY KANOJIA

Faute de majorité, les premiers gouvernements BJP ont prudemment évité de donner suite à ces revendications clivantes. Au grand dam de ses alliés du RSS et malgré une majorité confortable, Narendra Modi fera de même pendant son premier mandat, tout en donnant des gages dans les domaines notamment de l’éducation et de la culture. « Dans ces domaines, écrit Sylvie Guichard dans un article sur l’idéologie nationaliste hindoue (2), le gouvernement défend en effet des positions relevant clairement du nationalisme hindou. Les thèmes avancés se trouvent au cœur de l’idéologie du mouvement depuis sa formation : réécriture de l’histoire indienne […], politique d’interdiction de l’abattage et de la consommation de viande de bœuf, politique d’homogénéisation et d’hindouisation de la culture et de la société indienne, et nombre de mesures discriminantes pour les minorités. »

Confronté à sa base électorale qui s’impatiente, que fera Narendra Modi, maintenant qu’il a été réélu ? Beaucoup d’analystes estiment qu’encouragé d’une part par la majorité absolue dont il dispose au Parlement et par l’état de l’opposition décrédibilisé par l’ampleur de sa défaite d’autre part, le Premier ministre indien pourrait être tenté de faire progresser l’agenda nationaliste hindou sur ses points problématiques. « La seule chose qui le retiendra peut-être un peu est son souci de garder une certaine légitimité sur le plan international, et pour cela Narendra Modi va devoir investir de l’énergie politique dans le développement économique du pays, plus qu’il ne l’a fait jusqu’ici », explique Sylvie Guichard. Avant d’ajouter : « Se consacrer à la tâche gigantesque du développement d’un pays comme l’Inde et faire avancer l’agenda ethnique et étriqué d’une frange de la société ne vont pas nécessairement ensemble... ».


(1) « Nationalisme hindou, libéralisme économique et populisme high-tech », Nouveaux visages des extrêmes droites:« Manière de voir » #134 • avril - mai 2014

(2) Sylvie Guichard, « Populismes indiens  », La Vie des idées , 15 novembre 2016. ISSN : 2105-3030. URL : http://www.laviedesidees.fr/Populismes-indiens.html

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