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Japon

«Acheter du poisson à Tokyo, c'est comme acheter un lingot d'or»

C'est une page d'Histoire qui se tourne au Japon. Inauguré en 1935, le mythique marché aux poissons de Tsukiji à Tokyo, le plus grand du monde, ferme définitivement ses portes samedi 6 octobre. Les célèbres enchères de thons, attraction touristique, déménagent dans un lieu plus moderne, à Toyosu, mais beaucoup moins pittoresque. Lionel Beccat, chef français du restaurant étoilé Esquisse, à Tokyo, venait s'y fournir plusieurs fois par semaine. Il raconte avec passion et émotion son rapport à ce lieu et à ses occupants.

Le chef français Lionel Beccat sur le marché aux poissons de Tsukiji à Tokyo.
Le chef français Lionel Beccat sur le marché aux poissons de Tsukiji à Tokyo. Lionel Beccat
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RFI : Que vous inspire à titre personnel cette fermeture du marché aux poissons de Tsukiji ?

Lionel Beccat : Un gros pincement au cœur. On avait coutume de dire que c'était le ventre de la ville. C'est comme si on déménageait votre ventre. C'est marquant pour tous les poissonniers, tous ceux qui y travaillent, mais aussi pour nous les chefs qui nous y servions. Ça devient rare, les lieux qui sont encore dans leur jus. On pouvait sentir le poids de l'Histoire, de toute cette technique, cette tradition. C'était très inspirant, très enivrant. S'amoncelaient au fil des décennies, des vestiges de vie. Pour un artisan ou un artiste, ça a une dimension unique, qui ne se remplace pas. Aller à Tsukiji le matin, c'était commencer la journée sous une impulsion très spéciale. Ça nous donnait de la motivation, pour être à la hauteur de la force de ce lieu. Donc il y a un peu de tristesse.

Qu'est-ce que vous alliez chercher en tant que restaurateur que vous ne pouviez pas avoir ailleurs ?

C'est très lié à la façon de faire japonaise : l'excellence des relations humaines. Dans tout ce qu'on fait, dans tout ce qu'on souhaite, il fait créer des liens. Tout se fait par l'humain. Si je devais finalement garder une chose de ces 12 années de visites à Tsukiji, ce ne seraient pas les poissons, mais les poissonniers qui m'ont fait l'honneur de me vendre leur marchandise, parce que c'est comme ça que cela se passe là-bas. Ce sont eux qui choisissent leurs clients, et pas nous qui les choisissons. Acheter du poisson à Tokyo, c'est comme acheter un lingot d'or. C'est quelque chose de tellement précieux, ce serait impossible pour moi de quantifier tout ce qu'ils m'ont appris.

Vous n'allez pas les retrouver dans le nouveau marché de Toyusu ?

Si, mais pas tous. Un bon petit quart va arrêter, parce qu'ils sont un peu vieux, et qu'ils ne se sentent pas à l'aise dans ce nouveau marché. Je retrouverai les autres, mais ce sera beaucoup plus réglementé. On aura moins accès à la marchandise. À Tsukiji, on était au plus près. C'était posé à même le sol. Alors qu'à Toyusu, il faudra rentrer avec des masques, avec un calot, on ne pourra pas toucher le poisson sans gants. Ce ne sera plus la même chose, la même intensité. Mais il faut être pragmatique. C'était aussi un très vieux marché. On est quand même au XXIe siècle, ils vont déménager dans des locaux plus adaptés, plus sécurisés à tous les niveaux. Je suis donc très partagé. Je vais regretter le lieu énormément, mais je pense qu'il y a aussi des marchands de ma génération, des jeunes qui sont contents parce qu'ils vont travailler dans de meilleures conditions.

Les ventes aux enchères de thons étaient particulièrement célèbres et attiraient beaucoup de monde...

Oui, parce que c'était assez spectaculaire. Le thon au Japon est une denrée sublime. Les plus belles pièces s'arrachaient certaines semaines à des prix complètement fous. Les meilleurs restaurants de sushis s'arrachaient les meilleurs morceaux de chaque bête. Cette tension était assez belle, assez photogénique. Elle attirait les touristes, ce qui n'était pas forcément un plaisir pour les travailleurs d'être pris en photo comme au zoo. C'est un monde rude, de mains usées, de visages burinés, de vies très dures, rêches. Ce sont des moments très intenses, et c'était un peu vécu comme une intrusion. Ces moments auront toujours lieu, mais ce sera complètement interdit au public.

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