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Diplomatie

[Portraits croisés] Kim et Trump: si loin, si proches

Donald Trump et Kim Jong-un. L’ancien magnat de l’immobilier et le dictateur. 71 et 34 ans. Deux mondes, deux personnages qu'a priori tout oppose, mais qui partagent pourtant certains traits. A eux deux, ils concentrent l’attention de la communauté internationale à la veille d’un sommet historique à Singapour, où ils se rencontreront pour la première fois. Portraits croisés.

Kim Jong-un et Donald Trump.
Kim Jong-un et Donald Trump. SAUL LOEB / AFP / KCNA VIA KNS
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Leur rencontre sera scrutée par tous les médias du monde. Mardi 12 juin, à 9h heure locale, le président nord-coréen rencontre le président des Etats-Unis pour évoquer la question de la dénucléarisation. Un sommet à l’issue incertaine, tant les intérêts des deux camps divergent. Washington exige un démantèlement complet, vérifiable et irréversible du programme d’armement nucléaire nord-coréen comme préalable à la levée des sanctions internationales, tandis que Pyongyang réclame une approche progressive.

Le sommet est potentiellement explosif. Il n’y a pas si longtemps encore, Donald Trump qualifiait Kim Jong-un de « petit homme-fusée », de « chiot malade » et de « petit gros », tandis qu’en retour celui-ci le décrivait comme « lunatique » et… « sénile ». Un adjectif peu flatteur, qui renvoie à l’importante différence d’âge entre les deux hommes.

Kim Jung-un naît en 1984, mais sa biographie mentionne 1982 afin que son année de naissance coïncide avec les 70 ans de la naissance de son grand-père Kim Il-sung et les 40 ans de son père Kim Jong-il. Donald Trump a alors 38 ans, et dirige depuis les années 1970 un empire immobilier. Le 20 janvier 2017, lorsqu’il devient à 70 ans le président américain le plus âgé et le plus riche de l’histoire, le monde ne connaît que depuis quelques années la silhouette corpulente, le visage rond et la coupe de cheveux singulière de Kim Jong-un, qui a pris cinq ans plus tôt, à la mort de son père, la tête de la dernière dictature stalinienne du monde.

Entre les deux présidents, dont les pays entretiennent des rapports conflictuels depuis la guerre de Corée (1950-53), les hostilités sont officiellement ouvertes dès le 2 janvier 2017. Avant même sa prise de fonctions, le nouveau président américain affirme que la Corée du Nord ne sera jamais en mesure de développer une « arme nucléaire capable d'atteindre le territoire américain ». Quelques mois plus tard, Pyongyang procède à deux tirs de missiles intercontinentaux. Washington réplique par des sanctions financières, et Donald Trump promet de répondre par « le feu et la fureur » à toute attaque nord-coréenne.

La rhétorique belliqueuse prend alors une tournure personnelle. Et c’est devant l'Assemblée générale des Nations unies, en septembre 2017, que le président américain qualifie Kim Jong-un de « petit homme-fusée ». Réponse deux jours plus tard du Nord-Coréen : « Je disciplinerai par le feu le gâteux américain mentalement dérangé. »

Goût de la mise en scène

Kim Jong-un, lors du 85e anniversaire de l'Armée populaire de Corée. Photographie délivrée le 26 avril 2017 par le régime de Pyongyang.
Kim Jong-un, lors du 85e anniversaire de l'Armée populaire de Corée. Photographie délivrée le 26 avril 2017 par le régime de Pyongyang. KCNA/Handout via REUTERS/File Photo

Des déclarations provocatrices et théâtrales qui témoignent d’un goût commun pour la mise en scène. Kim Jong-un en a l’habitude : il est l’héritier d’un régime totalitaire dont la propagande est l’un des traits les plus saillants. Quant à l’ancienne star de la téléréalité Donald Trump, il ne recule jamais devant l'outrance, entre déclarations racistes envers les Mexicains, « des gens qui importent de la drogue, des crimes, des violeurs » et les joueurs de la NBA – le championnat de basket américain, remarques sexistes envers les femmes, propos discriminatoires envers les personnes handicapées... Chaque jour est un spectacle, avec son lot de mise en scène, d'injures et d'excès.

Les deux hommes partagent un tempérament colérique, aux formes différentes et aux conséquences plus ou moins dramatiques. La colère de Donald Trump s’accompagne de tweets furibonds, de limogeage - en mars dernier, il a remercié ou vu partir plusieurs hauts responsables de son administration : l'une de ses plus proches conseillères Hope Hicks, le conseiller à la sécurité nationale HR McMaster, ou encore le secrétaire d'Etat Rex Tillerson. Kim Jong-un, lui, purge : son ministre de la Défense Hyon Yong-chol, son oncle le puissant Jang Song-thaek et son demi-frère Kim Jong Nam, assassiné en 2017 à Kuala Lumpur. En sachant qu’il est compliqué, dans un pays aussi fermé, d’avoir des informations fiables sur les agissements réels de Kim Jong-un. La plupart d’entre elles émanent de l’agence de presse nord-coréennes KCNA et des renseignements sud-coréens.

Depuis son arrivée au pouvoir, Kim Jong-un s’est forgé une réputation de dirigeant impitoyable d'un pays isolé sur la scène internationale, qui n’hésite pas à se débarrasser de ceux qui remettent en cause son autorité. Pourtant, ses récents échanges avec Donald Trump l’ont fait revenir au centre du jeu. « Il y a un an, il était encore le chef d’un Etat paria sous sanctions internationales, un chef d’Etat que personne ne jugeait fréquentable, à part l’allié chinois – et encore. Il était en dessous de Bachar el-Assad dans la hiérarchie des "bad guys" internationaux. C’était le méchant archétypique dans James Bond, le type qui risquait de nous gâcher nos vacances d’été 2017, de déclencher une 3e guerre mondiale… », analyse Corentin Sellin, professeur agrégé d'histoire et co-auteur de l’ouvrage Les Etats-Unis et le monde (1823-1945). « Et là il se retrouve en face à face avec le président des Etats-Unis. Pour lui, c’est une grande victoire ».

Un soldat sud-coréen passe devant un écran de télévision montrant des photos du président américain Donald Trump (à gauche) et du dirigeant nord-coréen Kim Jong Un dans une gare de Séoul le 9 mars 2018.
Un soldat sud-coréen passe devant un écran de télévision montrant des photos du président américain Donald Trump (à gauche) et du dirigeant nord-coréen Kim Jong Un dans une gare de Séoul le 9 mars 2018. AFP

Le pouvoir, une affaire de famille

D’un côté, le président que personne n’attendait, arrivé sur le tard en politique, de l’autre, le dauphin. Le self-made-man et l’héritier ? Les deux hommes sont en réalité le fruit de dynasties familiales, où la figure du père tient une place prépondérante. Kim Jong-un a été désigné par son père, aux dépens de ses deux autres frères, pourtant plus âgés et mieux placés dans l’ordre de succession. Des ressemblances sur le plan physique et moral lui auraient valu sa préférence.

Pour ce qui est de Donald Trump, son père Fred Trump lui a laissé l’année de ses 25 ans le contrôle de sa compagnie. Si le fils se lance ensuite dans une carrière de promoteur immobilier indépendant, « daddy »n’est jamais loin. Ainsi, lorsqu’en 1978 Donald Trump réalise sa première grosse affaire en achetant des parts dans le Commodore Hotel à New York, c’est Fred Trump qui négocie un prêt de 70 millions de dollars avec le groupe Hyatt pour financer le chantier.

Chez les deux hommes, le pouvoir est une affaire de famille. La dynastie Kim dirige la Corée du Nord depuis 70 ans, et plusieurs des proches de Kim Jong-un occupent des postes clés, à l'image de sa sœur Kim Yo-jong : elle était son émissaire aux Jeux Olympiques d'hiver en Corée du Sud, elle l’a accompagné lors du sommet intercoréen de Panmunjom et lors de sa rencontre avec M. Xi à Dalian... Aux Etats-Unis, la fille du président, Ivanka Trump, a le statut de conseillère du président, tout comme son mari, Jared Kushner.

Jared Kushner et Ivanka Trump aux côtés de Donald Trump, lors de la campagne présidentielle américaine en juin 2016 à New York. Ils travaillent tous les deux à la Maison-Blanche depuis l'élection de Trump.
Jared Kushner et Ivanka Trump aux côtés de Donald Trump, lors de la campagne présidentielle américaine en juin 2016 à New York. Ils travaillent tous les deux à la Maison-Blanche depuis l'élection de Trump. REUTERS/Mike Segar

Le président sud-coréen Moon Jae-In en discussion avec Kim Yong-nam, le chef d’Etat protocolaire du régime nord-coréen (d.) et Kim Yo-jong, la soeur de Kim Jong-un (c.), à Séoul, le 10 février 2018.
Le président sud-coréen Moon Jae-In en discussion avec Kim Yong-nam, le chef d’Etat protocolaire du régime nord-coréen (d.) et Kim Yo-jong, la soeur de Kim Jong-un (c.), à Séoul, le 10 février 2018. REUTERS/Yonhap

Un dirigeant opaque

De Kim Jong-un, on ne sait pas grand-chose, en dehors des éléments rapportés dans sa biographie officielle. Envoyé à Berne, en Suisse, dans une école internationale de langue anglaise entre 1996 et 1998, puis élève dans la même région de l’école publique de Liebfeld, le futur leader nord-coréen se distingue peu des autres adolescents. Son enfance est partagée entre l’école, sa passion pour le basketball, sa collection de basket Nike et… le visionnage de films d’action, notamment ceux du Belge Jean-Claude Van Damme ! Un signe d’ouverture vers l’Ouest ? Pour Corentin Sellin, ces éléments ne doivent pas être sur-interprétés : « Les médias aiment broder sur son enfance en Suisse, mais pour l’instant, il n’y a rien de tangible qui laisse présager que Kim soit le De Clerk nord-coréen, l’homme qui ferait la transition d’un régime dictatorial vers une démocratie. » En Corée du Nord, chaque élection de l'Assemblée suprême du peuple est organisée sans adversaire et avec obligation de voter.

Kim Jong-un est donc plus familier de l’Occident que ne l’étaient son père et son grand-père, c’est aussi le premier dirigeant nord-coréen à envisager une rencontre avec un président des Etats-Unis. Mais selon le spécialiste, sa « réhabilitation » aux yeux de l’opinion doit beaucoup au rejet qu’inspire le président américain : « c’est très gênant de voir à quel point Kim Jong-un semble paré de certaines vertus. Il serait le David contre Goliath, le petit qui se joue du grand géant un peu balourd et un peu maladroit. Il ne faut pas oublier la réalité du régime nord-coréen, depuis maintenant plus de 70 ans. »

Opacité VS surexposition

Passé maître dans l'art de l'autopromotion, Donald Trump a publié une vingtaine de livres.
Passé maître dans l'art de l'autopromotion, Donald Trump a publié une vingtaine de livres. Peter Kramer / Getty Images North America / AFP

En dialoguant avec Pyongyang, Donald Trump « légitime » le leader nord-coréen. Un dommage collatéral qu’il semble prêt à assumer pour « gagner sa place dans la postérité », analyse Corentin Sellin.« Cela se double aussi d’une obsession par rapport à des présidents précédents qui auraient affaibli les Etats-Unis. Il n’a jamais de mots assez durs par rapport à Georges W. Bush et l’aventure en Irak, et sur Barack Obama. Le dossier nord-coréen est central pour Trump car c’est un petit pays qui a humilié les Etats-Unis en permanence depuis 20 ans, en les baladant et en continuant de se nucléariser ». Applaudi par le camp républicain et par le président sud-coréen Moon Jae-in pour sa gestion du dossier nord-coréen, le président américain peut gagner gros s’il parvient à obtenir de la Corée du Nord un engagement pour sa dénucléarisation.

Dans cette bataille diplomatique, Kim Jong-un possède un avantage de taille : le secret et l’opacité qui l’entourent, quand Donald Trump est le dirigeant le plus visible de la planète. « Mis à part sa fascination pour la NBA et les films d’action, on ne sait rien de Kim Jong-un. On ne sait pas qui il est, ce qu’il pense. A l’inverse, pour Trump, on connaît toute sa vie. Il donne tout à voir, il n’y a pas de "off", tout est exhibé. Dans le cadre d’une négociation, c’est un avantage pour Kim Jong-un », détaille Corentin Sellin. Preuve que le dictateur nord-coréen connaît, sinon la personnalité, au moins les goûts culinaires de son rival : il y a quelques jours, un rapport de la CIA annonçait que la Corée du Nord serait prête à ouvrir un fast-food à Pyongyang, un geste pacifique en direction de Donald Trump et de son goût pour les hamburgers, selon l’agence de renseignement américaine.

Quelle issue pour cette rencontre entre deux hommes qui incarnent « des régimes, des valeurs, des histoires totalement différentes » ? Avec au cœur du débat la question de la dénucléarisation de la Corée du Nord : « Sur le fond, on sait bien qu’il y a un éléphant dans la pièce, le sujet qui compte ne pourra pas déboucher sur un accord », souligne Corentin Sellin : «  Avec ce sommet, on saute dans l’inconnu ».

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