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Littérature

Vietnam: une plongée au cœur d'une nation fracturée

Le Vietnam a été au centre des passions et des convoitises occidentales durant plus d’un siècle. Son destin est devenu un enjeu pour nombre de grandes puissances, la France et les États-Unis bien sûr, mais aussi la Chine, le Japon et l’Union soviétique. Mais que sait-on de cette terre qui a su se jouer de toutes les influences pour bâtir une nouvelle identité ?

Une image d'archive de Saïgon, au Vietnam, le 31 janvier 1968 lors de l'offensive du Têt menée par les Viet-Congs.
Une image d'archive de Saïgon, au Vietnam, le 31 janvier 1968 lors de l'offensive du Têt menée par les Viet-Congs. AFP
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« La fabrique du Vietnam contemporain n’en a pas fini avec ses fractures », affirme l'historien François Guillemot en décrivant ce qui demeure aujourd’hui l’un des cinq derniers pays communistes du monde. Si l’économie s’est ouverte dès le début des années 1990, son modèle est trop classique, sa croissance trop lente, son impact sur l’environnement désastreux.

Les nombreux médias restent étroitement surveillés. L’État, lui, reste autoritaire, avec une police politique organisée sur le modèle de la Stasi est-allemande, en butte à une soif d’ouverture qui se manifeste notamment par une fréquentation très élevée de la toile et des réseaux sociaux.

Une guerre de cent ans

Les Vietnamiens parlent volontiers d’une guerre de cent ans,117 pour être précis. Ouverte en 1858 avec l’invasion de la Cochinchine par les troupes de l’empereur français Napoléon III, elle ne se serait achevée que par l’entrée dans Saïgon le 30 avril 1975 des troupes de l’Armée populaire de la République démocratique du Nord Vietnam.

Pour François Guillemot, qui publie aux Editions La Découverte Viêt-Nam, fractures d'une nation, « le drame se poursuit encore pendant près de quinze ans » par un court conflit frontalier avec la République populaire de Chine durant l’hiver 1979, mais surtout par l’occupation du Cambodge qui, de la fin des années 1970 au début des années 1990, monopolise la moitié du budget de l’État.

« J’ai voulu changer de paradigme », poursuit-il à propos d’un livre qu’il a pensé d’abord pour les étudiants. En réalité, il s’agit d’un outil solide et très clair pour quiconque veut avoir une vue d’ensemble d’une histoire passionnante et chaotique. « Je voulais abandonner l’entrée franco-Viet-Minh qui a perduré bien au-delà de la guerre, poursuit-il. Pensez que lorsque Mitterrand est venu en visite officielle pour la première fois, en 1993, il était accompagné d’un ancien de la bataille de Diên Biên Phu, Pierre Schoendoerffer. Il faut sortir de cette historiographie en miroir ».

 

François Guillemot, auteur de «Vietnam, fractures d'une nation» (La Découverte, 2018).
François Guillemot, auteur de «Vietnam, fractures d'une nation» (La Découverte, 2018). Olivier Favier/RFI

 

À le lire, on se rend compte combien la destinée récente du Vietnam est le parangon des histoires qui, par-delà les grandes tragédies qui l’ont placé plus souvent qu’à son tour au centre de l’intérêt médiatique, restent pour l’essentiel parfaitement méconnues, réduites à quelques photogrammes.

Quel grand film de fiction, par-delà les innombrables productions étasuniennes ou françaises, nous montre la longue guerre de libération du point de vue de ceux qui y laissèrent quelque 4 millions de morts et de disparus, dont trois quarts de civils ?

L’histoire des vaincus

À la suite d’Enzo Traverso, François Guillemot se place aussi du côté des vaincus. L’empereur Bao-Daï, qui de son abdication à son retour manqué, ne parvint pas à maintenir l’Unité du pays, les montagnards du Sud, pareillement rejetés par les communistes et les nationalistes, l’opposition assassinée ou bridée, des trotskystes des années 1930 aux démocrates des années 2010. Ou encore un Hô Chi Minh vieillissant dont il nous donne à lire le testament caché, volontairement ignoré par les cadres du parti.

Il s’attarde aussi sur l’occupation nippone, à l’origine de la famine qui fit un million de morts à la fin de la Seconde Guerre mondiale comme de la chute de l’Empire français. Et de rappeler le constat lucide de l’administrateur Jean Rouget : « Ce n’est pas à Diên Biên Phu, ni à Genève, que la France a perdu l’Indochine. Mais le 9 mars 1945, date du coup de force de l’armée japonaise ».

Ce sont les boat people qui l’ont amené à se passionner pour ce pays, où il s’est rendu pour la première fois en 1993, avant d’en étudier la langue à l’INALCO et de devenir docteur en histoire, ingénieur de recherche au CNRS et chargé de documentation à l’Institut d’études orientales de l’École normale supérieure de Lyon.

Dans son livre, l’évocation de cet épisode singulier, qui rappelle aujourd’hui que l’accueil des réfugiés en France n’a pas toujours été indigne, s’inscrit dans l’histoire désormais séculaire de la diaspora vietnamienne, des « retours de France » amenés à former l’élite (post)coloniale à la fuite des cerveaux, en passant par les 250 000 travailleurs partis rejoindre les « pays-frères » dans les années 1980.

« Guerre expérimentale » : chercher et détruire

Si la violence toute stalinienne du Viêt-Minh et les inspirations fascisantes des nationalistes sont décrites sans concession, les impérialismes occidentaux apparaissent aussi dans toute leur brutalité. Paul Doumer, gouverneur de l’Indochine au tournant du siècle, parlait d’un « peuple mûr pour l’esclavage ». L’un des ses successeurs dans les années 1930, René Robin, invitait à traiter ainsi toute rébellion : « Réprimer, tuer, faire le moins de prisonniers possible ».

En 1945, « le sombre dessein de la France », rappelle l’auteur, est d’instiller la guerre civile afin de reconquérir sa colonie perdue. De ce strict point de vue, le résultat dépassera toutes les espérances. On sait par ailleurs combien le napalm utilisé par le maréchal de Lattre deviendra l’un des symboles du conflit à venir, après la défaite française.

En intervenant massivement au sol dès 1965, les États-Unis joueront de fractures déjà béantes avec un cynisme redoublé. Assurés de perdre la partie comme leurs prédécesseurs, ils la poursuivront jusqu’à l’absurde en fonction des intérêts électoraux du pouvoir en place.

Le coût de cette guerre totale sera dix fois plus important que le plan Marshall, la stratégie indigente, résumée en une formule : Search and destroy [chercher et détruire]. Les bombes américaines larguées sur le Vietnam en huit ans seront deux fois plus nombreuses que celles de la Seconde Guerre mondiale. Elles frapperont trois ou quatre fois plus le territoire allié du Sud que celui contrôlé par Hanoï.

Face à ce que François Guillemot définit comme une « guerre expérimentale », dont les conséquences n’ont pas fini de se faire sentir, les « Viêt Congs » jouent sur le facteur humain : plus d’1,5 million de travailleurs civiques appuient l’armée populaire. Face à la terreur technologique, « la population devient l’enjeu majeur ». À plus de quarante ans de distance, force est de constater que la leçon n’a toujours pas été comprise.

 

 

Viêt-Nam, fractures d'une nation par François Guillemot, éditions La Découverte 2018, 392 pages, 13 euros.

 

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