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Pape / Asie du Sud

Le pape en Asie: déception et peur des catholiques indiens

Avec une population chrétienne en croissance, l’Asie est devenue la nouvelle frontière du christianisme. Le pape François le sait bien. D’où sa troisième tournée en trois ans dans le continent des matins calmes, en attendant de pouvoir fouler prochainement les vieilles terres chrétiennes de l’Inde et de la Chine.

Le Vatican, le 22 octobre 2017: des chrétiens venus du monde entier se joignent au Saint-Père pour la prière de l'Angélus.
Le Vatican, le 22 octobre 2017: des chrétiens venus du monde entier se joignent au Saint-Père pour la prière de l'Angélus. REUTERS
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Depuis le lundi 27 novembre, le pape François est en tournée en Asie du Sud. Deux pays sont au programme. A l’issue de son parcours de trois jours au Myanmar, anciennement la Birmanie, il se rendra ce 30 novembre au Bangladesh où la minorité chrétienne forte de 375 000 âmes attend la visite du souverain pontife avec enthousiasme et impatience. Le pape était attendu aussi dans l’Inde voisine qui compte 27,8 millions de chrétiens, soit 2,3% de la population indienne. Mais François ne foulera pas la terre indienne et repartira directement à Rome, après son escale de Dhaka.

Le clergé catholique indien a dit haut et fort dans les médias sa déception face à l’absence de leur pays dans l’itinéraire de ce premier voyage papal en Asie australe depuis presque deux décennies. « Nous étions fin prêts, mais il nous a manqué le feu vert du sommet de l'Etat », a expliqué le porte-parole de la Conférence des évêques catholiques de l’Inde (CBCI), en charge de l'organisation du voyage papal au pays de Gandhi. Le dernier déplacement papal dans le sous-continent date de 1999 lorsque Jean-Paul II s’était rendu en Inde, à l’invitation du gouvernement indien de l’époque. Il était reçu par le Premier ministre  Vajpayee, issu du parti de la droite nationaliste hindoue, le Bharatiya Janata Party (BJP), tout comme le Premier ministre actuel Narendra Modi.

Le gouvernement traîne les pieds

Or cette fois, l’invitation officielle n’est pas venue, alors que le pape François avait personnellement annoncé lors d’une conférence de presse il y a quelques mois sa quasi-certitude de pouvoir rendre visite à ses ouailles indiennes cette année. Il semblerait que malgré l’avancement des préparatifs du voyage, le gouvernement nationaliste indien a traîné des pieds craignant que les images d’un Narendra Modi recevant le Saint-Père n’aient un impact négatif sur son électorat traditionnel. La classe moyenne indienne qui a voté massivement pour Modi et son parti, milite pour l’identité hindoue de l’Inde et considère le christianisme et l’islam comme des idéologies importées. Au pouvoir à New Delhi, mais aussi dans 18 des 29 Etats régionaux, le BJP s’inquiète de perdre sa majorité au Parlement lors des prochaines législatives programmées pour 2019.

« Nous avions pourtant signalé au gouvernement combien la population catholique indienne, particulièrement pieuse, était désireuse de voir le pape François », a déclaré à la presse le porte-parole de la CBCI. La déception est d’autant plus grande que la communauté catholique indienne avait été particulièrement sensible au rôle de facilitateur joué récemment par le Vatican pour faire libérer un prêtre indien pris en otage par des insurgés au Yémen. « En retour, nous aurions aimé recevoir le Saint-Père en Inde pour le remercier de vive voix », regrette le Père Theodore Mascarenhas, secrétaire-général de la CBCI.

Histoire

L’Asie est une priorité pour le pape François qui, depuis sa désignation à la tête de l’église catholique en 2013, a effectué déjà deux tournées – le troisième est en cours - dans ce continent, visitant la Corée du Sud, le Sri Lanka et, last but not least, les Philippines qui sont avec leurs 75 millions de chrétiens le troisième plus grand pays catholique du monde. Au cours du siècle écoulé, l’Asie est devenue la nouvelle frontière du christianisme et a vu sa part passer de 5% à 12% de la population chrétienne mondiale.

Le pape François et Aung San Suu Kyi à Naypyidaw, résidence présidentielle, le 28 novembre 2017.
Le pape François et Aung San Suu Kyi à Naypyidaw, résidence présidentielle, le 28 novembre 2017. Osservatore Romano/Reuters

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En Inde, la présence historique attestée des chrétiens date du IIIe siècle de notre ère. Cette présence de presque 2000 ans se traduit par une implantation inégale, avec la moitié des chrétiens vivant dans la partie sud de l’Inde péninsulaire et des poches au nord-est et au centre du pays. Les chrétiens sont très nombreux parmi les castes opprimées et défavorisées, beaucoup d’hindous s’étant convertis à l’islam et au christianisme pour échapper à la stricte hiérarchie des castes qui régit la société hindoue. Ainsi entre 70 et 80% de la population indienne serait issue des hors-castes ou « dalits », connus autrefois sous le nom d’« intouchables ».

Pays laïc, l’Inde s’est dotée après son indépendance en 1947 d’une Constitution progressiste (1950) qui garantit la liberté du culte. En vertu de cette Loi fondamentale, les hindous et les minorités religieuses ont pu longtemps cohabiter en harmonie, mais cette cohabitation a été mise à mal par la montée des nationalistes hindous dans les années 1990. Si les musulmans ont été les principales cibles des attaques « communalistes » hindoues, qui ponctuent l’histoire contemporaine indienne, les chrétiens n’ont pas été épargnés non plus. Les églises chrétiennes sont régulièrement vandalisées, les chrétiens agressés. Plusieurs Etats indiens ont adopté des lois anti-conversion qui ont remplacé progressivement la liberté du culte.

Dégradation de l’harmonie communautaire

Plus récemment, les fondamentalistes hindous réunis sous l’égide du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), la matrice idéologique de l’hindouisme militant, ont décrété la fin du christianisme en Inde à l’horizon 2021. Ils ont aussi documenté des cas de répression religieuse contre les hindous perpétrés notamment dans les colonies portugaises de Goa au cours des XVe et XVIe siècles. Ils réclament que le pape présente ses excuses aux Indiens, comme ses prédécesseurs l’ont fait en Amérique latine et plus récemment en Jamaïque.

Cette dégradation de l’harmonie entre communautés majoritaires et minoritaires vaut à l’Inde son classement parmi les vingt pays du monde les plus dangereux pour les chrétiens, selon l’index mondial de persécutions des chrétiens. Cet index est publié tous les ans par l’association française « Portes Ouvertes » qui milite pour les droits des minorités à travers le monde. Selon l’édition 2017 du classement, l’Inde qui occupe la 15e place serait devenue un pays aussi dangereux que l’Arabie saoudite (14e) et l’Ouzbékistan (16e).

La venue du pape aurait sans doute permis d’apporter un peu de réconfort aux catholiques indiens confrontés aux menaces que les mouvements hindouistes font peser sur eux. C’est dans cet objectif que la CBCI ne baisse pas les bras et a redemandé un rendez-vous auprès du bureau du Premier ministre Modi pour fixer une nouvelle date pour la visite papale en Inde. « Le Saint-Père que j’ai vu récemment m’a confirmé que les difficultés que nous avons rencontrées pour le faire venir en Inde cette année n’ont aucunement entamé sa détermination à venir nous rendre visite », se réjouit le père Théodore Mascarenhas. Et d’ajouter : « Cette visite sera en haut de l’agenda de la plénière des évêques indiens qui se tiendra à Bangalore en janvier ».

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