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Argentine

Argentine: pression judiciaire sur des sociétés de livraison de repas à domicile

Des mesures pour garantir la sécurité des employés, c'est ce que réclame la justice de Buenos Aires à trois entreprises de livraison de repas à domicile. Les activités de ces trois plateformes sont pour le moment officiellement suspendues. Une décision qui fait polémique dans un pays qui traverse une grave crise économique et où les emplois se raréfient.

Livreur de la société Rappi dans les rues de Buenos Aires en Argentine.
Livreur de la société Rappi dans les rues de Buenos Aires en Argentine. RFI/Aude Villiers-Moriamé
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De notre correspondante à Buenos Aires,

Casque orange vissé sur la tête, vélo et sac à dos de la même couleur posés à terre, Fran fixe son téléphone en guettant la prochaine commande. Ce Vénézuélien de 27 ans travaille depuis quelques semaines seulement pour Rappi, une entreprise de livraison de repas à domicile basée en Colombie et implantée en Argentine, mais c’est la première fois que le rythme est si tranquille pour lui : « Ce week-end, je ne suis pas sorti, de peur de me faire arrêter », explique le jeune homme, employé de banque le matin et qui se met à la disposition de Rappi l'après-midi et le soir pour compléter ses revenus.

Les rues de Buenos Aires sont étrangement calmes depuis que la justice a sommé, début août, trois entreprises de livraison à domicile, Rappi, PedidosYa et Glovo de déclarer tous leurs collaborateurs (un terme que les entreprises préfèrent à celui d'employés), de leur garantir une assurance complémentaire de santé ainsi qu’un équipement de sécurité adapté (casque, gilet réfléchissant). Il s’agit de la confirmation d’une résolution prise en décembre 2018, à la suite d’une plainte déposée par le syndicat des travailleurs motocyclistes et cyclistes. Constatant que rien ou presque n’avait changé depuis lors, le juge Roberto Gallardo a ordonné le blocage de tous les paiements par carte bancaire sur les sites et applications mobiles de ces entreprises et demandé à la police d’intercepter les livraisons qui ne respecteraient pas ces normes.

Sous pression, Rappi a distribué des casques et des gilets réfléchissants à ses livreurs durant le week-end. L’entreprise leur a aussi fourni une assurance santé. « C’est une bonne chose », souligne Fran, qui déplore toutefois « qu’il ait fallu en passer par là pour que nous travaillions dans de meilleures conditions ».

Des entreprises en pleine expansion

Depuis quelques années, ces entreprises connaissent un développement exponentiel à Buenos Aires. Deux Argentins sur dix y font appel régulièrement pour commander des repas. Mais à mesure que l’usage de ces plateformes s’est développé, les accidents de la route se sont multipliés. En avril, un jeune employé bolivien de Rappi est renversé par un camion sur une grande avenue de la capitale argentine et meurt sur le coup. Fin juillet, toujours à Buenos Aires, la publication sur Twitterd’un extrait de conversation entre Glovo et l’un de ses livreurs horrifie l’opinion publique. L’homme de 63 ans, qui a été renversé par une voiture quelques minutes plus tôt et attend l’ambulance, prévient l’entreprise qu’il ne pourra pas effectuer sa livraison. « Dans quel état se trouve la commande ? », lui demande une opératrice de Glovo. « Je ne sais pas, je ne peux pas me lever », lui répond le livreur. « Ernesto, pourrais-tu m’envoyer une photo du produit s’il te plait ? (...) Cela fait partie du processus pour annuler une commande », poursuit, imperturbable, l’opératrice.

Ces compagnies ont construit leur réputation sur leur extrême rapidité de livraison. Moins d’une heure pour Glovo, 35 minutes pour Rappi. Un rythme effréné qui pousse les livreurs à griller les feux rouges et à pédaler à toute allure, parfois à contresens, dans les rues chaotiques de Buenos Aires. « Si on ne respecte pas les délais, on nous donne moins de commandes », explique Fran, qui souligne toutefois : « Après la décision de justice, l’entreprise nous a dit que l’on pouvait prendre un peu plus notre temps ».

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Pour le juge Roberto Gallardo, « ce que [ces entreprises] proposent n’est pas un travail, c’est une activité précaire, éloignée non seulement de la législation nationale, mais aussi internationale. Quelle différence y a-t-il entre cela et un atelier clandestin ? », déclarait le magistrat ce mardi lors d’une interview à la radio argentine La Red.

Une décision de justice qui ne fait pas l'unanimité

« C’est vrai que le rythme est intense, mais on choisit aussi nos horaires, on est libres », avance Rodrigo qui préfère ne pas donner son vrai nom. Comme des dizaines de milliers de compatriotes ces dernières années, le jeune Vénézuélien a fui son pays pour gagner l'Argentine. Rodrigo travaille pour Rappi depuis son arrivée à Buenos Aires, fin 2018 : dix heures par jour, tous les jours, pour une moyenne de 200 euros (environ 10 184 pesos argentins) par semaine. « Ce n’est pas si mal. Nous les Vénézuéliens, on est nombreux à travailler comme livreurs. On vient d’une situation si difficile que ce genre de travail nous va parfaitement », affirme-t-il, alors qu’il fait une pause à un coin de rue entre deux commandes.

Rodrigo critique la décision du juge Gallardo qui met, selon lui, en danger son travail et celui de ses collègues. Une opinion partagée par App Síndical, le syndicat des employés de plateformes de livraison, qui a dénoncé dans unesérie de tweets : « Le seul résultat de l’interdiction, c’est davantage de clandestinité et de précarisation ». De fait, à l’instar de Rodrigo, de nombreux livreurs ont continué à travailler ces derniers jours, souvent en utilisant d’autres sacs à dos que ceux des entreprises, afin d’éviter les contrôles policiers.

Le chef du gouvernement de la ville de Buenos Aires a également critiqué la résolution. Horacio Rodríguez Larreta a estimé que l’interdiction « va mettre à la rue beaucoup de gens, alors qu’il y a un tel besoin de travail ». L’Argentine traverse une grave crise économique depuis l’an dernier et le chômage a fortement augmenté.

Dans un communiqué conjoint, Rappi, Glovo et PedidosYa ont annoncé qu'elles allaient faire appel de la décision de justice : « Une mesure qui cherche à suspendre de manière arbitraire la source de revenus d’un grand nombre de personnes [les entreprises parlent de 20 000 collaborateurs] à Buenos Aires. Les plateformes respectent les normes et régulations locales et nationales ».

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