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Cuba/Biennale des Arts

Biennale des arts: Théo Mercier s'invite chez la comtesse à La Havane

Suspendre le temps pendant un mois, mettre entre parenthèses la crise régionale provoquée par la situation au Venezuela, les produits alimentaires aux abonnés absents, les difficultés de la vie quotidienne... et voir des oeuvres d'art. Après une interruption de quatre années, la XIIIe populaire biennale de La Havane dévoile depuis ce vendredi et au fil des jours les créations des artistes invités, en provenance de tous les continents sur le thème « La construction de tous les possibles ». Si la délégation chinoise est à l'image de ce pays-continent, plusieurs créateurs venus de France investissent également des lieux chargés d'histoire comme la vieille ville coloniale, le front de mer du Malecón (inauguré ce dimanche) ou le quartier de Centro Habana : JR, Laurent Grasso, Yves Tremorin, Emmanuel Tussore... sont parmi les artistes invités. Et le musée des Arts décoratifs a été livré à Théo Mercier, sculpteur et metteur en scène qui revisite pour l'occasion le palais de la comtesse Revilla de Camargo.

Ne me quitte pas, c'est le titre de l'exposition proposée par Théo Mercier pour la Biennale de La Havane.
Ne me quitte pas, c'est le titre de l'exposition proposée par Théo Mercier pour la Biennale de La Havane. RFI/Isabelle Le Gonidec
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envoyée spéciale à La Havane,

Construit dans les années 1920 dans le quartier alors résidentiel du Vedado à La Havane, l'hôtel particulier a été occupé notamment par Maria Luisa Gomez Mena qui appartenait à l'une des familles les plus riches de Cuba, ardente francophile qui se faisait créer ses vêtements et bijoux par Dior et Cartier. Propriétaires terriens, ils étaient à la tête de terres et de plusieurs ingenios, ces entreprises de transformation de la canne à sucre, l'or vert de Cuba. Ils détenaient également dans la vieille ville des biens dont le pâté de maison sur lequel a été édifié ce qui est aujourd'hui l'un des hôtels les plus luxueux de La Havane, nous explique Gustavo Lopez, conservateur du musée des Arts décoratifs. Maria Luisa, également comtesse par la grâce des rois d'Espagne était une grande collectionneuse : porcelaines précieuses de Chine, bibelots, porcelaines et meubles notamment de France du XVIIe au début du XXxe siècle. Inconditionnelle de Marie-Antoinette, elle en acquit le secrétaire, l'un des clous de la collection du musée. L'hôtel particulier, inspiré du Trianon de Marie-Antoinette, a lui-même été dessiné et décoré par la prestigieuse maison Jansen de Paris.

► Lire aussi : «Ola Cuba !», un art cubain poétique, politique et puissant

Réintroduire de la cubanité

En 1959, lors de la révolution, la famille fuit Cuba et la maison deviendra musée des Arts décoratifs en 1964, les collections de la comtesse ayant été complétées par des pièces venant d'autres musées. En somme, Cuba est singulièrement absent de cette maison. Rien dans les collections de la comtesse ne faisait écho à la culture cubaine ou coloniale. Théo Mercier s'est donc employé à réinjecter de la cubanité dans cette maison-bulle hors du temps en faisant dialoguer les époques et les objets qu'il introduit dans la maison. A la porte du majestueux hall de marbre, une installation d'oeufs... en marbre, intitulée malicieusement « los huevos de la condesa », les oeufs de la comtesse. Ou encore, « la comtesse couvant ses trésors », nous explique-t-il. Clin d'oeil aussi aux pénuries d'oeufs qui affectent Cuba en ce moment, à ces rituels porte-bonheur à La Havane où l'on offre des oeufs en marbre, à l'oeuf purificateur de la santeria afro-cubaine... Plus loin, dans la salle à manger baroque, des crabes ont envahi l'espace et montent à l'assaut de la table.

Les oeufs de la comtesse: à Cuba, les oeufs se font rares depuis des mois, mais la comtesse a fait son marché, installation de Théo Mercier au musée des Arts décoratifs, le 13 avril 2019.
Les oeufs de la comtesse: à Cuba, les oeufs se font rares depuis des mois, mais la comtesse a fait son marché, installation de Théo Mercier au musée des Arts décoratifs, le 13 avril 2019. ©RFI/Isabelle Legonidec

Des crabes en bois là encore fabriqués par des artisans cubains et que le touriste peut de procurer pour la somme de 2 cuc, la monnaie convertible. Ces crabes qui envahissent les plages du sud de l'île pour s'accoupler justement en ce moment, et qui évoquent une « orgie sexuelle » mais aussi le faste indécent des dîners de la bonne société et « le parasitage par la populace des restes de la cène ».

Biennale des arts de La Havane: Théo Mercier a dressé la table pour un festif transgressif, les crabes s'invitent sur la nappe.
Biennale des arts de La Havane: Théo Mercier a dressé la table pour un festif transgressif, les crabes s'invitent sur la nappe. ©RFI/Isabelle Legonidec

Théo Mercier a fait trois voyages pour préparer cette exposition. En visitant la maison, il a « découvert qu'il était partout sauf à Cuba, nous explique-t-il, écoeuré de découvrir que cette comtesse s'était acharnée à tout faire venir des quatre coins de l'Europe... La seule chose qui provienne de Cuba dans la maison, c'est le bois des portes mais il a quand même été envoyé en France pour être sculpté et peint puis renvoyé à La Havane. Mon geste d'artiste a été de corriger, un siècle plus tard les 'mauvaises actions' de la comtesse et de présenter la beauté des matériaux et des fabrications locales ». Travailler avec des objets fabriqués localement, un point sur lequel Théo Mercier insiste particulièrement : cela fait partie de sa démarche pour comprendre, s'approprier le pays.

Faire dialoguer les époques

Pour lui, il s'agit d'inverser le fantasme : la comtesse cubaine rêve de France, l'artiste lui rêve de Cuba et le réinjecte dans la maison, en faisant dialoguer les époques. Ainsi le portrait à mi-escalier de cette petite fille pensive, « alanguie » qui fait penser aux poulbots du marché de Montmartre et chiné sur le marché des artisans, intitulé « Souvenir d'une petite fille contre-révolutionnaire ».  Il a fallu trois voyages à l'artiste pour s'imprégner des lieux, de la maison et de La Havane, plus des rencontres et des lectures comme le livre de Reynaldo Arenas, Avant la nuit, qui lui a inspiré « Le Mur » installé dans le patio, ces tableaux de plages paradisiaques gardées par deux cerbères en bronze, qui renvoient à l'espace fermé qu'est l'île. « Un dialogue paradis-enfer que chacun lira comme il l'entendra ».

Une immersion cubaine qui aura peut-être été facilitée par le fait que Théo Mercier vive entre Paris et Mexico, séduit par l'archéologie de ce pays, le mille-feuille de son histoire, la richesse de sa culture et de ses artisans qui « ont un savoir-faire incroyable. J'y apprends beaucoup de techniques et il n'y a plus beaucoup d'endroits dans le monde où l'artisanat ne soit pas voué au tourisme et donc désincarné ». Les beaux tapis de la comtesse ne sont plus foulés par les ducs de Windsor ou les comtes de Barcelone ; on n'y danse plus le chachacha. Lors de l'inauguration samedi résonnait la chanson Ne me quitte pas, titre de l'exposition de Théo Mercier, interprétée en français pour un public encore très francophile. L'esprit de la comtesse hante encore les murs.

►Le site de la Biennale des Arts de La Havane

Biennale des arts de La Havane: Théo Mercier devant "Le mur" dressé dans le patio du musée des Arts décoratifs, le 13 avril 2019.
Biennale des arts de La Havane: Théo Mercier devant "Le mur" dressé dans le patio du musée des Arts décoratifs, le 13 avril 2019. RFI/Isabelle Le Gonidec

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