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Cinéma / Cuba

Cinéma: de Cuba à la station Mir, «Sergio y Serguei», naufragés de l'histoire

À partir de ce mercredi 27 mars, sur les écrans en France, le nouveau film du réalisateur cubain Ernesto Daranas, « Sergio y Serguei », l'histoire d'un Russe, d'un Cubain et d'un Nord-Américain, les trois personnages des « chistes », des blagues préférées des Cubains à l'époque où le monde était encore divisé en blocs identifiés. Entre farce et drame, fiction et réalité, un trio, une boucle radiophonique et une histoire d'amitié dans un monde bouleversé.

Sergio, le professeur de philosophie marxiste et Mariana, sa petite fille et la narratrice du film "Sergio y Serguei" d'Ernesto Daranas qui sort le 27 mars sur les écrans en France.
Sergio, le professeur de philosophie marxiste et Mariana, sa petite fille et la narratrice du film "Sergio y Serguei" d'Ernesto Daranas qui sort le 27 mars sur les écrans en France. Bodega Films
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Le film a été salué par le prix du public dans plusieurs festivals dont Cinélatino à Toulouse et le Festival du film de La Havane en 2018. Normal, c'est un film malin, tant par l'histoire elle-même que par la construction de la narration, avec des personnages principaux suspendus dans le temps et dans l'espace, à la fois littéralement et métaphoriquement.

Le comédien Héctor Noas interprète Serguei, l'astronaute. Les images de la station spatiale Mir ont été tournées en Catalogne dans les studios de Mediapro, co-producteur du film d'Ernesto Daranas.
Le comédien Héctor Noas interprète Serguei, l'astronaute. Les images de la station spatiale Mir ont été tournées en Catalogne dans les studios de Mediapro, co-producteur du film d'Ernesto Daranas. Bodega Films

Ils sont trois donc. Et d'abord un astronaute soviétique, perché en orbite dans la station Mir. Le personnage de Serguei est inspiré de Serguei Krikaliov, le détenteur du record de temps passé dans l’espace et qui, parti sur Mir en tant que citoyen soviétique, en redescendra en tant que citoyen russe. Serguei assiste depuis Mir à la désintégration de son pays. Il flotte, en apesanteur entre deux ères.

À quoi sert encore la philosophie marxiste ?

Ensuite, dans un magnifique zoom avant, une vertigineuse plongée sur la Terre puis sur La Havane et l'escalier de son immeuble, sur la chanson de Gilbert Bécaud, « Nathalie », nous découvrons Sergio, professeur de philosophie marxiste à La Havane qui a fait une partie de ses classes à Moscou. Sergio apprend sur son poste de radio-amateur la désintégration de l'URSS. « C'était comme d'apprendre à Newton que la loi de la gravité n'existait plus »... Comment enseigner la philosophie marxiste alors que le modèle politique supposément incarné par l'URSS s'écroule, que tout ce à quoi on a cru s'effondre, que Cuba entre en « période spéciale », que l'univers est patas arriba comme l'explique Mariana, sa petite fille ? Comment concilier idéaux révolutionnaires - il a écrit un essai sur la réactualisation du marxisme que l'université ne veut pas publier - et débrouille cubaine pour faire manger sa famille ? Il devra même se résoudre à distiller de l'alcool à la maison pour faire bouillir la marmite avec l'aide de son ami Ulysse qui fabrique des radeaux pour les balseros...

Sergio, Mariana et Ulises, l'ami et voisin, qui fabrique des radeaux pour ceux qui veulent quitter Cuba. Un prénom prédestiné ?
Sergio, Mariana et Ulises, l'ami et voisin, qui fabrique des radeaux pour ceux qui veulent quitter Cuba. Un prénom prédestiné ? Bodega Films

Et le troisième personnage, Peter, est un Nord-Américain, un yankee de New York, personnage un peu trouble féru de programmes spatiaux, menacé de mort pour enquêter sur la mission Appolo XI, vacciné contre le communisme en raison du massacre de sa famille, des juifs polonais, par Staline. Le personnage de Peter est interprété par le comédien Ron Perlman qui a aussi participé au financement du film d'Ernesto Daranas par le biais de sa boîte de production. Cela vaut au film d'être la première co-production États-Unis/Cuba depuis plus de soixante ans. Une co-production permise par le dégel amorcé lors de la rencontre Obama-Castro.

La radio est subversive

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Le comédien américain Ron Perlman, qui interprète le rôle de Peter, est également co-producteur du film.
Le comédien américain Ron Perlman, qui interprète le rôle de Peter, est également co-producteur du film. © 2017, Mediaproducción, S.L.U, RTV Comercial, ICAIC

e lien entre ces trois hommes, c'est la radio, d'abord en morse, et l'antenne relais c'est Sergio. « Je vis sur une île hors du temps », déplore Serguei. « Ici c'est pareil », lui rétorque Sergio. Même Peter dans le huis clos nocturne de son laboratoire radiophonique semble hors du monde. La radio est aussi leur point d'ancrage au monde. Or les ondes radio sont dangereuses, subversives. « Les murs ont des oreilles » : si Peter est écouté par la CIA ou le FBI, Sergio, lui, est surveillé par les responsables des comités de quartier et son activité de radio-amateur le rend particulièrement suspect. La bureaucratie politique cubaine est caricaturée dans les personnages de Ramiro et de Lia. L'ancienne génération est incarnée par le veule Ramiro et la nouvelle génération, plus technocratique et sèche, par Lia. Clin d'œil, la comédienne qui l'interprète est la même que celle qui jouait le rôle d'une mère prostituée et droguée dans le précédent film de Daranas, Yulet Cruz. La plupart des comédiens forment la « tribu » Daranas.

Un humour désenchanté et corrosif

Porté en voix off par Mariana, la petite fille de Sergio, qui égraine ses souvenirs, le récit oscille entre drame et farce. Son regard d'enfant imprime une légèreté et parfois même une touche de magie au film. Autre forme de distanciation, l'humour. Le réalisateur s'autorise moult coups de griffe. Lorsque Serguei évoque une ancienne fiancée cubaine qui lui racontait que La Havane était la ville la plus joyeuse au monde, Sergio ironise sur le temps qui s'est écoulé depuis cette époque bien révolue... Humour encore lorsqu'alors la mère de Sergio appelle au secours la vierge de la Caridad, « Oshun », patronne de Cuba, on voit Serguei sortir de sa fusée et décrocher le drapeau de l'URSS, ou encore sur la virtualité à Cuba comme sur Mir des vaches et du lait.

De la même manière que Serguei suit l'actualité terrestre du haut de son orbite (ce qui nous vaut de bien belles images), le spectateur a un regard plongeant, distancié, voire amusé sur ces personnages. Aussi le film est-il moins âpre que le long-métrage précédent d'Ernesto Daranas, Chala une enfance cubaine, qui racontait combien il était difficile d'être un petit garçon dans une famille pas aux normes à La Havane. « C'était super galère, mais je me souviens de ces années comme des plus belles de ma vie » raconte Mariana.

Comme les ondes radio, le récit et la caméra vont et viennent entre ciel et terre, entre passé et présent. Un hommage à ceux qui comme le crapaud de la devinette ne s'en laissent pas conter, à ceux qui refusent chapelles et frontières.

► Ernesto Daranas est revenu à Toulouse pour la sortie sur les écrans français de Sergio y Serguei. Retrouvez ici son entretien avec Maria Carolina Piña de RFi en espagnol:

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