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Cinéma / Argentine

Cinéma: «Nobody's watching», un Argentin à New York, de Julia Solomonoff

La réalisatrice argentine Julia Solomonoff était l'invitée du festival Cinelatino de Toulouse en mars pour présenter son troisième et dernier long-métrage de fiction « Nobody's watching » qui sort ce mercredi 25 avril sur les écrans en France. Un film tourné à New York où elle a vécu à plusieurs reprises et qui questionne sur le regard et l'image de soi, celle que l'on construit et celle que l'on projette sur les autres.

Le comédien argentin Guillermo Pfening est un magistral Nico dans le film Nobody's watching de Julia Solomonoff.
Le comédien argentin Guillermo Pfening est un magistral Nico dans le film Nobody's watching de Julia Solomonoff. http://epicentrefilms.com
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New York à hauteur de vélo (le moyen de locomotion de Nico), New York à hauteur de poussette (celle où Nico promène le bébé qu'il garde). La métropole américaine est le décor, changeant au fil des quartiers et des saisons et magnifiquement filmée, de l'escapade de Nico, célèbre comédien de télévision argentin qui, pour échapper à un personnage qui se fait trop étouffant et à son histoire d'amour avec le producteur, a pris le large.

Se débarrasser de Rivales

A New York, le héros de la série télé Rivales, que la production a opportunément mis dans le coma après un accident de moto le temps que cesse son caprice, vit de petits boulots. La réalisatrice nous raconte s'être nourrie de sa propre expérience d'étudiante boursière en cinéma à la Columbia University pour étoffer le personnage : serveur dans un bar, le plus souvent nounou, Nico loue son appartement pour arrondir ses fins de mois. Il a également quitté l'Argentine parce qu'un réalisateur mexicain (clin d'oeil à ses aînés célèbres Iñaritu ou Guillermo del Toro ?) lui a proposé de le rejoindre aux Etats-Unis pour faire un « vrai » film, de cinéma et d'auteur, à partir de récits de vie de migrants latino-américains. Mais le projet tarde à se concrétiser et Nico doit se débrouiller pour tenir.

Tenir économiquement, mais aussi tenir professionnellement et moralement. Oublier son égo d'acteur adulé : au début du film, Nico jouit de la liberté que lui donne son anonymat. Bien que reconnu par les nounous latinos du parc comme étant l'acteur fétiche de Rivales, il fait le coquet et rechigne à confirmer son identité. Au fil du film, il tentera de récupérer sa peau d'acteur vedette, par nécessité économique mais aussi parce qu'il a besoin en tant qu'acteur du regard des autres pour exister, pour interagir, pour séduire aussi.

Jeux de miroirs et de regards

Comme son titre l'indique, Nobody's watching ou Nadie mira, le film interroge le regard. Dans les sociétés contemporaines hyper médiatisées, il est difficile d'échapper aux images: caméras de surveillance, selfies, skype et bien sûr cinéma et séries télé. Le film en joue mais au final questionne : pour quel résultat ? Trop d'images tuent les images et celles-ci n'arrêtent plus notre regard, nous explique Julia Solomonoff. Les caméras regardent mais ne voient pas. Par provocation, Nico vole des bricoles au supermarché, sous l'oeil des caméras de surveillance, mais sans jamais se faire prendre. Elles sont en réalité aveugles. De la même manière, la plupart des regards s'avèrent faussement attentifs ou superficiellement amicaux. De tous les regards échangés par les personnages du film, le seul « vrai » regard est celui que le bébé porte sur Nico et réciproquement.

Nico et les nounous latinos du parc qui commentent sans retenue ses gestes hésitants pour changer le bébé: il est blond, elles ne se doutent pas qu'il est hispanophone.
Nico et les nounous latinos du parc qui commentent sans retenue ses gestes hésitants pour changer le bébé: il est blond, elles ne se doutent pas qu'il est hispanophone. http://epicentrefilms.com

Le film interroge aussi, et c'est induit par le regard, sur la part de la mise en scène que chacun introduit dans sa vie, sur le rôle social que l'on s'efforce de jouer et les marqueurs qui vont avec. Cocasse et assez cruelle, la scène où Nico met en scène son appartement pour faire croire à son intégration à la vie new-yorkaise lors de la visite d'un ami, le comédien argentin qui lui a succédé dans la série. Le personnage le plus emblématique de cette fabrication est son ex-amant argentin, le ténébreux et inquiétant Martin, le producteur de télévision. Sexualité, amour, relations amicales, familiales, ce ne sont que jeux de miroir et de regards, comme une transposition cinématographique de la tension qui existe en espagnol entre les verbes «ser» et «estar».

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«Nobody's Watching»: pourquoi ce titre? Les explications de Julia Solomonoff

Isabelle Le Gonidec

Guillermo Pfening, lui-même issu de la télévision même s'il investit de plus en plus le cinéma d'auteur nous raconte la réalisatrice, est Nico dans le film. Julia Solomonoff lui avait déjà donné un petit rôle dans son précédent long métrage, El verano de la boyita, prix du public au festival Cinelatino de Toulouse en 2010. Un film qui interrogeait déjà l'identité.

Clin d'oeil de l'histoire, un projet de film ayant avorté en Europe, le comédien Guillermo Pfening, récompensé pour ce rôle au festival Tribeca en 2017, se retrouva à New York quelque peu désargenté et obligé de travailler comme serveur dans un bar pour arrondir ses fins de mois... Solitude de Nico l'immigré qui ne parvient pas à investir sa nouvelle vie de comédien latino aux Etats-Unis, même quand il se teint les cheveux en noir pour ressembler davantage au profil type du beau brun typé. Tout le monde se moque que vous soyez une vedette dans votre pays, lui assène une productrice américaine.

Nico, pourtant entouré d'une galerie de personnages cosmopolites à l'image de la ville, dont les rôles sont très écrits et travaillés, tous complexes et ambivalents et finement interprétés. Des personnages qui le regardent mais sans vraiment le voir. Il lui faudra croiser son reflet semi-clochardisé dans une vitrine de magasin pour lui aussi se retrouver, puiser l'énergie de s'affranchir du regard des autres et de son échec, pour rebondir.

►à écouter aussi la chronique en espagnol de nos confrères de la rédaction Amérique latine

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