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Cinéma / Théâtre / Chili

Festival Cinélatino à Toulouse: Paulina Garcia, une passion pour le jeu

Elle est l'invitée vedette du festival Cinélatino qui se tient cette semaine à Toulouse. Les spectateurs français et européens ont pu la voir dans Gloria, le film du Chilien Sebastián Lelio, ou encore dans La cordillera de l'Argentin Santiago Mitre avec pour comparse Ricardo Darín. Paulina Garcia est une comédienne très présente dans le cinéma chilien et latino-américain, mais aussi et surtout une femme de théâtre, actrice et metteur en scène. Une femme concernée, engagée et bosseuse, que nous avons rencontrée.

La comédienne de cinéma et femme de théâtre Paulina Garcia est l'invitée vedette du festival Cinélatino 2108;
La comédienne de cinéma et femme de théâtre Paulina Garcia est l'invitée vedette du festival Cinélatino 2108; http://www.cinelatino.fr
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Avec notre envoyée spéciale,

Lorsque le festival Cinélatino braque ses projecteurs sur un pays, c'est en général qu'il est le lieu d'une renaissance cinématographie, écrit Amanda Rueda dans un essai sur l'Amérique latine en France et notamment dans les festivals de cinéma. Or cette année, Cinélatino a choisi de faire un focus sur les femmes de cinéma au Chili. Comédiennes, productrices, réalisatrices, elles investissent en force les écrans. Daniela Vega, interprète du film Une femme fantastique de Sebastián Lelio, a été abondamment célébrée et le film récompensé par l'Oscar du meilleur film en langue étrangère en 2018. Quelques années plus tôt, en 2013, Paulina Garcia avait été couronnée d'un Ours d'argent au festival de Berlin pour sa fantastique interprétation de Gloria, sémillante quadragénaire, du même Sebastián Lelio à qui les portraits de femmes réussissent décidément.

« La pelicula Gloria te dio la gloria », le film Gloria t'a portée au firmament, dit-on finement au Chili à Paulina Garcia. De fait, depuis, elle tourne sans relâche, dans son pays et ailleurs. En Argentine où elle a interprété successivement le rôle de la présidente de son pays dans La Cordillera de Santiago Mitre puis celui d'une modeste femme de chambre baladée d'un bout à l'autre du pays dans La fiancée du désert de Cecilia Atán et Valeria Pivato, aux États-Unis avec Little Men du réalisateur Ira Sachs. Des films qui sont projetés à Toulouse dans le cadre de l'hommage à la comédienne, de même que Las Analfabetas de Moisès Sepulveda, dans lequel elle interprète magistralement une quinquagénaire analphabète. Un film tiré d'une pièce de théâtre d'un jeune auteur chilien, Pablo Parades, parce que, comme nous le rappelle Paulina Garcia, son premier et grand amour, c'est le théâtre.

La scène : une passion

Paulina Garcia, invitée du festival Cinélatino à Toulouse, une comédienne en vue en Amérique latine: l'an dernier à Cannes, elle avait deux films dans les sélections: "La fiancée du désert" et "La cordillera", deux films argentins. "
Paulina Garcia, invitée du festival Cinélatino à Toulouse, une comédienne en vue en Amérique latine: l'an dernier à Cannes, elle avait deux films dans les sélections: "La fiancée du désert" et "La cordillera", deux films argentins. " Laura Morsch Kihn

Elle enseigne l'art du jeu, au théâtre et au cinéma, joue elle-même, écrit, met en scène et préside également la Muestra nacional de dramaturgia qui prépare un festival à la fin de l'année. Une bosseuse on vous dit. « Jusqu'à il y a cinq ans, le théâtre m'occupait presque entièrement, nous raconte-t-elle. J'essaie de toujours garder un pied dans le monde du théâtre, parce que c'est ma maison, mon foyer ».

Le théâtre permet d'avoir une approche « primaire », viscérale, des personnages, nous explique-t-elle. De les travailler comme on travaillerait une pâte à pain. Transmettre l'essence d'un personnage par son jeu, par l'espace que l'on occupe et la manière dont on l'occupe, davantage qu'en jouant avec les émotions. C'est d'ailleurs comme cela qu'elle enseigne le jeu. Et au passage, elle rend hommage à l'homme de théâtre Adel Hakim, codirecteur du Théâtre des Quartiers d’Ivry, avec qui elle a eu le « privilège » de jouer et auprès duquel elle a beaucoup appris. « Un metteur en scène au talent énorme dans sa manière de traduire pour les comédiens l'énergie du jeu », décédé en août dernier et qui a changé sa manière de comprendre le jeu.

Lorsque l'on lui demande si, de la même manière qu'elle met en scène des pièces de théâtre, elle pourrait passer à la réalisation pour le cinéma, le « non » fuse. « Tout m'intéresse, nuance Paulina Garcia, mais je ne suis pas sûre d'éprouver au cinéma cette impulsion vitale qui, au théâtre, me donne envie de raconter des histoires ». Au théâtre, il y a une immédiateté des relations, avec les acteurs que l'on dirige, avec les éclairagistes, avec l'ensemble des parties prenantes à la pièce qui fait que tout le monde, d'emblée, comprend pourquoi on veut tel effet. Au cinéma, « au montage on peut me couper un battement de cil provoqué par ma nervosité, nervosité dont personne ne s'est rendu compte. Au théâtre, c'est moi qui corrigerai à la scène suivante ma nervosité, me reprendrai et tous pourront vivre cela avec moi ! »

Les acteurs de théâtre : une race à part

Et n'oublions pas le public. Au théâtre « la projection sur le public est immédiate, il y a un contact direct qui nous oblige à avoir une musculature intérieure très solide pour porter l'oeuvre le temps d'une représentation et des suivantes. Il y a là quelque chose de très revitalisant ».

« Ma fille, qui est anthropologue, me dit que les races n'existent pas, moi je maintiens que la race des acteurs de théâtre existe », lance Paulina en éclatant de rire. « Entre acteurs de théâtre, on se reconnaît tout de suite... Avec les acteurs de théâtre, j'ai un problème en commun ! »

Véritable concentré d'énergie, Paulina Garcia dégage tout à la fois une grande vitalité et une grande maîtrise d'elle-même. « Dès que je me lève le matin, j'organise ma vie en fonction de mon métier, poursuit cette acharnée de travail, qui pratique intensément le yoga depuis vingt ans. « Ce que je mange, le temps passé à la maison, le temps passé aux rencontres professionnelles ou mondaines », tout s'organise en fonction en fonction de la répétition ou de la représentation à venir.

La dictature a asséché aussi le champ de la culture

Une passion qui date de l'université et du jour où elle s'est lancée sur la scène pour interpréter un personnage de femme qu'elle avait créé, Pamelita, qui récitait un poème sans fin. Le bonheur de la scène... des copains (ses meilleurs amis datent de cette période de la fin des années 1970 et tout début des années 1980), de ces rares espaces de liberté dans un monde verrouillé par la dictature militaire où, culturellement, il n'y avait rien et où le couvre-feu obligeait à de longues veillées jusqu'au petit matin à refaire le monde en buvant de la bière et en fumant des joints (elle ne fume plus et ne boit plus que le week-end nous confie-t-elle).

Peu à peu, elle se pique au jeu, écrit de plus en plus pour ce café-théâtre d'étudiants jusqu'au jour où un ami lui enjoint de se lancer pour de vrai. C'est ton truc, lui dit-il. Elle change d'orientation et s'inscrit alors à l'Université catholique pour y suivre des cours de théâtre avant de se lancer professionnellement sur les planches. Un sacerdoce pendant ces années de plomb. Des années de pauvreté, voire de faim avait-elle confié il y a quelques années dans un entretien à l'émission Cara a Cara. « Pelando el ajo », autrement dit grattant les fonds de casseroles... « Personne ne vivait de son métier de théâtre dans ces années-là, nous confirme-t-elle. La plupart des acteurs devaient faire de la télévision », pour survivre.

« L'un des effets de la dictature avait été d'assécher le champ culturel, nous avions perdu notre public, rappelle Paulina Garcia, et il a fallu presque vingt ans pour qu'il revienne ». Depuis 2005 environ, selon elle, les choses ont changé. Le public est de retour, de nouvelles salles s'ouvrent, à Santiago, mais aussi dans les régions qui se dotent également de théâtres. Cela a permis l'émergence de nouveaux acteurs et metteurs en scène, y compris femmes. « À mes débuts, nous n'étions que trois femmes à mettre en scène : Claudia Echenique, Alejandra Gutiérrez et Silvia Sanfelices, mais nous avons été rejointes par bien d'autres », se réjouit-elle.

Une chance : le théâtre se porte bien au Chili, grâce notamment au festival international Santiago a Mil. Ariane Mnouchkine, le Berliner Ensemble, des troupes japonaises, chinoises, des pièces montées à Avignon... viennent à ce festival, souligne-t-elle. Une ouverture au monde bénéfique.

Un ministère de la Culture enfin créé

Le Chili vient de vivre une alternance politique après le départ de Michelle Bachelet qui, pendant deux mandats, a conduit un gouvernement de coalition de centre-gauche. Michelle Bachelet a fait des choses en ce qui concerne l'égalité des genres et des chances, l'éducation, les retraites, etc. « Il y a eu des acquis qu'il faut reconnaître, souligne cette femme, très concernée par la vie politique et qui se dit franchement de gauche, aussi dans le secteur de la culture : se sont ouverts des espaces et des structures mais les budgets sont restés à la traîne, aucun gouvernement n'a vraiment pris la mesure des besoins ».

Une note d'optimisme quand même : quelques jours avant que son successeur à la présidence, le libéral Sebastián Piñera, ne prenne le relais, Michelle Bachelet a créé un ministère de la Culture pour remplacer le conseil de la Culture, « or un ministère est doté d'un vrai budget, ce qui n'était pas le cas du conseil », se réjouit Paulina Garcia. Un processus qui a été compliqué par le fait que le Chili est un pays multiculturel: il fallait que les discussions créant ce ministère impliquent tous les peuples du Chili. Alors au début les peuples indiens ont envoyé promener les émissaires du gouvernement en leur disant « en quatre cents ans, vous avez fait peu de cas de nous et maintenant vous voulez qu'on discute de ma culture ? ». Mais au final, ils y sont parvenus, Mapuches, Atacameños, Rapanui (à l'île de Pâques), Patagones dans le Grand Sud... et le gouvernement se sont tous mis autour de la table.

Une tribu d'une grande vitalité

Daniela Vega, la comédienne qui interprète le rôle de Marina dans le film de Sebastian Lelio.
Daniela Vega, la comédienne qui interprète le rôle de Marina dans le film de Sebastian Lelio. advitamdistribution.com

Pour celle qui se décrit comme une femme «normale», issue de la classe moyenne, seule artiste et non-croyante d'une famille nombreuse et très religieuse, mère de trois enfants et mariée au même homme « merveilleux » depuis trente ans, tout ce qu'on laisse en ce monde, c'est ce que l'on a aimé. Et cette grande famille du théâtre et du cinéma, elle l'aime. « Au Chili, dans le pays, nous [les Chiliens] sommes peu nombreux et dans le monde du spectacle, encore moins, alors nous nous connaissons tous », explique Paulina en évoquant la grande fête donnée à l'occasion du retour de l'enfant prodige, Sebastián Lelio, auréolé de son Oscar du meilleur film étranger. « C'était joli et c'est ce qu'a dit Sebastián : nous sommes une tribu» et même si c'est bien lui qui, par son travail et son talent a gagné l'Oscar, « on en profite tous ! »

Avec des personnalités comme celle de Paulina et des autres réalisatrices, comédiennes et femmes de cinéma croisées à Toulouse, gageons que le théâtre et le cinéma au Chili n'ont pas fini de faire parler d'eux.

► Tout le programme du festival Cinélatino qui suit son cours jusqu'au 25 mars

► Paulina Garcia est à écouter aussi en espagnol, interrogée pour RFI par Maria-Carolina Piña

 

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