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Cinéma/Colombie

«El silencio de los fusiles»: Natalia Orozco filme le chemin de la paix en Colombie

La Colombie est à l'honneur, l'occasion toujours de découvrir les multiples facettes de ce passionnant pays qui commémore dans le doute le premier anniversaire de l'accord de paix négocié avec la guérilla des FARC. Pendant l'année 2016, les médias ont accordé une large place aux négociations qui se finalisaient entre les FARC, la plus ancienne guérilla du continent latino-américain, et le gouvernement de Juan Manuel Santos, prix Nobel de la paix 2016. C'est ce long processus -quatre années- que raconte « Le silence des fusils », documentaire réalisé par la journaliste colombienne Natalia Orozco. Un film plébiscité dans de nombreux festivals, en Colombie et ailleurs, et diffusé ce lundi soir dans le cadre d'un colloque à la Maison des Sciences de l'homme et ce mardi (en version réduite hélas) sur la chaîne Arte. « J'ai tant filmé la guerre, aujourd'hui je veux raconter comment on fait la paix », expose en préambule du film la réalisatrice. Un long et cahoteux chemin sur lequel le film apporte un éclairage bienvenu.

Le commandant des Farc, Pablo Catatumbo, vient expliquer à ses troupes où en sont les discussions avec le gouvernement et les préparer à l'accord de paix: c'est l'une des séquences filmées par Natalia Orozco et son équipe dans le documentaire.
Le commandant des Farc, Pablo Catatumbo, vient expliquer à ses troupes où en sont les discussions avec le gouvernement et les préparer à l'accord de paix: c'est l'une des séquences filmées par Natalia Orozco et son équipe dans le documentaire. arte.tv
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Ils sont tous dans le documentaire. Les principaux acteurs politiques et militaires du conflit puis du processus de paix avec les FARC en Colombie : Juan Manuel Santos lui-même, le président colombien qui arbore à la boutonnière et brodé en fil d'or sur le linge de maison du palais présidentiel, la petite colombe de la paix ; le chef militaire le plus titré du pays Oscar Adolfo Naranjo Trujillo, en charge de la guerre contre le narcotrafic ; les négociateurs civils Humberto de la Calle, Sergio Jaramillo et le propre frère du président, Enrique ; mais aussi les principaux commandants des FARC dont les médias ont popularisé les noms et les visages ces derniers mois : Juan Marquez, Pablo Catatumbo, Timoleón Jiménez alias Timochenko, candidat à la prochaine élection présidentielle, ou encore Pastor Alape. Des hommes sortis de la clandestinité qui se livrent à la caméra.

Un 'casting' arraché de haute lutte par Natalia Orozco, journaliste chevronnée qui a fait ses classes comme envoyée spéciale sur des terrains difficiles comme la Libye, notamment pour la chaîne de télévision privée colombienne RCN. Une chaîne pas précisément bienveillante à l'égard de l'insurrection, a rappelé Natalia Orozco lors de la présentation du film au Forum des images début novembre, d'où les préventions des chefs guérilleros à son encontre. La réalisatrice a d'abord obtenu l'accord des FARC, avant d'avoir celui du gouvernement grâce à la médiation du juriste Humberto de la Calle. L'argument d'une co-production du documentaire par la France et la chaîne Arte a été décisif, selon elle. Que le public international et notamment européen voit les efforts de paix réalisés par le gouvernement était une bonne chose pour son image de marque. Car la guerre est aussi une guerre de communication et d'images. Un volet qu'elle développe dans le film diffusé en salles mais hélas coupé par Arte pour sa diffusion télé. Dès leur démobilisation, les responsables des FARC ont envoyé quelques combattants se former à l'usage des médias comme Boris Guevara, jeune ex-guérillero qui représente l'avenir du mouvement politique que les FARC ont créé, la Force alternative révolutionnaire commune, et décline en rap son programme politique.

Juan Manuel Santos: « sauver le country club »

Mêlant des extraits d'entretiens qu'elle a menés, face à face, avec les protagonistes des discussions de paix entamées à La Havane en février 2012 dans le plus grand secret, et des images d'archives ou d'actualité, Natalia Orozco propose un récit, ponctué d'éclairages ou de commentaires à la première personne en forme de somme documentaire sur les quatre années de discussion entre les deux parties. Ce « je » en voix off lui permet de partager ses doutes et ses espoirs avec le spectateur.

Le film suit chronologiquement l'évolution du chantier, au fil des avancées et des trébuchements des débats, apportant à chaque fois l'éclairage des deux parties : la mort au combat d'Alfonso Cano, grand chef des Farc, dans le Cauca en novembre 2011 alors que les pourparlers exploratoires avec l'organisation avaient déjà été engagés et la rage contenue de Pablo Catatumbo, très proche d'Alfonso Cano, revoyant l'annonce de son décès à la télévision ; la mort de 11 soldats tués par les Farc, en avril 2015, toujours dans le Cauca, qui exaspère ou désespère une opinion publique qui croyait que la paix était à portée de mains ; ou encore l'enlèvement fin 2014 d'un général de l'armée colombienne.

Dans cette course contre la montre, alors que les combats continuent sporadiquement, le documentaire s'affranchit aussi de la chronologie pour mettre en perspective de façon didactique les principaux enjeux des discussions, les points que va détailler l'accord de paix parce qu'ils sont au coeur du conflit et de son règlement: la question des terres et de la réforme agraire, à l'origine de la guerre dans les années 50 ; la participation à la vie politique de la guérilla après son retour à la vie civile ; le narcotrafic ; les victimes du conflit et les réparations ; le désarmement. Ainsi, le point concernant la réforme agraire rappelle dans quelles circonstances historiques furent créées les Farc alors que la Colombie était entrée dans une spirale meurtrière, appelée La Violencia, après l'assassinat de Jorge Eliezer Gaitan, leader politique charismatique de gauche, en avril 1948. Là, la réalisatrice part en quête d'un des plus anciens guérilleros des Farc, aujourd'hui retiré à La Havane, Jaime Guaracas. On le voit aussi aux côtés d'un des fondateurs de la guérilla, Jacobo Arenas, dans une archive de 1983. La mémoire d'un pays se construit de façon polyphonique et tous ces récits participent à sa construction.

Un parti pris presque oecuménique assumé par Natalia Orozco qui accompagne son film dans les festivals de cinéma du monde entier et en profite pour plaider en faveur de la paix. Elle boucle ces jours-ci à la Maison des Sciences de l'homme, un périple européen destiné à présenter son film et à animer des débats. Invitée début novembre par le Forum des images, lors du festival du documentaire de femmes, elle expliqua comment pour présenter son film en ouverture du festival de Carthagène (FICCI), elle s'est fait accompagner de Humberto de la Calle et des commandants des Farc. « On était tous ensemble dans une soirée qui est très importante pour la vie culturelle de la Colombie », raconte-t-elle. A la fin du film, tous les présents ont applaudi, plus de 1000 personnes et ce qu'ils applaudissaient, ce n'était pas le film, poursuit Natalia Orozco, mais « la possibilité de nous entendre, enfin... »

La réconciliation, elle en est une fervente militante et cette question, qui est au cœur du dossier des victimes, est l'un des points essentiels de l'accord de paix. C'est aussi l'une des séquences les plus émouvantes du film et des discussions de paix, témoignent dans le film ses acteurs. On y voit la rencontre à La Havane des parents de victimes du conflit avec les négociateurs, avec peut-être ceux qui ont été indirectement les bourreaux de leurs proches. Une cérémonie est organisée avec bougies, chants a capella, pétales de fleurs et un rituel peut-être d'origine africaine. L'émotion est palpable parmi les participants, aussi endurcis soient-ils. « C'est une scène que jamais je n'aurais imaginé vivre, un moment qui donne sens à tout le processus de paix », dit Natalia Orozco dans le commentaire off. « Le sillage de douleur de la guerre se prolonge bien au-delà des combattants », reconnaît un responsable des Farc.

Autre séquence forte, en décembre 2015, lors que les négociateurs se rendent à Bojaya, dans le Chocó, où quelque 80 personnes dont une moitié d'enfants ont été tués dans l'église où ils s'étaient réfugiés par une bombe artisanale lancée par les Farc. C'était en mai 2002, et la guérilla livrait alors une bataille sans merci aux paramilitaires des AUC. Emotion là encore lorsque Pastor Alape demande pardon aux victimes. « Nous savons que ces mots ne réparent pas l'irréparable et ne ramènent aucune des personnes qui ont disparu, ni n'effaceront la souffrance causée. Une souffrance que l'on peut lire sur tous vos visages, (et) pour laquelle j'espère qu'un jour nous serons pardonnés. »

Après les dangers de la guerre, les risques de la paix

Le rôle de l'ancien président Alvaro Uribe, de la classe moyenne colombienne et de ses élites, le pardon, la justice post-conflit (comment punir les auteurs ou responsables de crimes de guerre), le rôle de la guérilla dans le narco-trafic (le Plan Colombia a disparu de la version télévisée sur Arte), les exactions des paramilitaires des AUC dont on aperçoit dans une séquence le vociférant chef Carlos Castaño Gil, le moyen d'assurer la sécurité des anciens guérilleros revenus à la vie civile pour qu'ils ne subissent pas le sort de leurs camarades de l'Union Patriotica dans les années 80... autant de sujets qu'embrasse ce film, dense et riche, que Natalia Orozco veut montrer jusqu'au plus profond du pays et qui a déjà rencontré un grand succès lors de ses premières projections.

Le père Francisco de Roux, ici interviewé par l'équipe du film El silencio de los fusiles, a été nommé le 9 novembre à la tête de la Commission Vérité
Le père Francisco de Roux, ici interviewé par l'équipe du film El silencio de los fusiles, a été nommé le 9 novembre à la tête de la Commission Vérité silenciofusiles.com

Des questions qui sont au coeur de l'actualité colombienne aujourd'hui avec la candidature de Timoleón Jiménez à la prochaine présidentielle, avec la nomination du père jésuite Francisco de Roux à la tête de la Commission Vérité, jeudi 9 novembre, les meurtres répétés de militants de la société civile (leaders paysans, syndicalistes, indiens) qui rappellent de funestes épisodes de l'histoire de la Colombie, ou encore l'insuffisant processus de réincorporation des ex-guérilleros à la vie civile. « Plus de 100 personnes ont à ce jour été tuées et de nombreuses autres sont menacées, rappelle Natalia Orozco, alors être optimiste, c'est difficile mais on a fait un pas historique ! » et cette étape, il faut à tout prix la soutenir et la protéger.

► pour aller plus loin : la page du film El silencio de los fusiles

Le programme du colloque «Sortie de la violence, construction de la paix et mémoire historique», à la Maison des Sciences de l'homme, les 27 et 28 novembre.

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