Accéder au contenu principal
Etats-Unis/Climat

[Reportage] Etats-Unis: Tangier, une île en sursis

L’île de Tangier, dans la baie de Chesapeake, à proximité de Washington, est menacée par les eaux. L’érosion, aggravée par la hausse du niveau de la mer lui font perdre chaque année quelques mètres de terrain. Mais sur l’île, la population, résolument favorable à Donald Trump, refuse de croire au réchauffement climatique.

L'île de Tangier est promise à la disparition devant la montée des eaux.
L'île de Tangier est promise à la disparition devant la montée des eaux. RFI/ Anne Corpet
Publicité

envoyée spéciale,

Un long banc de sable s’étend dans la mer au milieu de la baie. Des poteaux électriques qui se dressent sur la fine bandelette de terre battue par les vents rappellent qu’autrefois ce lieu était habité. Le village de Canaan qui s’y trouvait a été abandonné dans les années 30, à la suite d’un ouragan. Depuis, l’îlot sombre progressivement dans les flots. Cameron Evens, dix-sept ans, nous y mène en barque depuis Tangier, et désigne l’étendue d’eau. « Autrefois, les deux îles étaient reliées, on pouvait y aller à pied », lâche-t-il en manœuvrant son embarcation à l’approche de la plage.

Sur le sable, quelques pierres tombales gisent, éparses. « Je me souviens, quand j’étais petit, il fallait marcher vers le nord pour rejoindre le cimetière qui était entouré d’un muret, raconte Cameron. Mais il n’en reste rien, c’est comme une petite ville fantôme qui disparaît. Cela pourrait être le sort de notre île. Je n’aime pas y penser, mais on finira peut-être comme ça. »

Si rien n’est fait, l’île pourrait disparaître sous les eaux d’ici une soixantaine d’années. Tangier fait moins de quatre kilomètres carrés et, selon les projections, le niveau de l’eau dans la baie pourrait monter de soixante centimètres d’ici 2050. Une condamnation certaine pour ce bout de terre strié de canaux et de marécages, qui affleure à peine au-dessus des flots.

87% des votes pour Donald Trump

Si à Tangier, chacun constate le problème, rares sont ceux qui évoquent la montée des eaux pour en expliquer la cause. Tous préfèrent parler d’érosion devant l’effritement des rivages. 87% des habitants ont voté pour Donald Trump aux dernières élections, et la majorité refuse de croire au réchauffement climatique : « Je crois qu’il y a des cycles naturels, et je ne pense pas que l’homme joue un rôle là-dedans. Le niveau des eaux fluctue, mais ne monte pas », tranche le maire, James Eskridge, pêcheur de crabes, comme l’immense majorité des 470 habitants de Tangier. Des autocollants « Trump 2020 » sont déjà sur les vitrines des quelques rares boutiques du village en prévision du prochain scrutin présidentiel. James Eskridge a eu les honneurs d’un coup de téléphone de la Maison Blanche.

« Votre île existe depuis des centaines d’années, et je crois qu’elle sera là encore pour plusieurs siècles », aurait affirmé le président américain. Mais le maire pondère : « Si aucun budget n’est dégagé pour construire une digue autour de nos terres, nous sombrerons, à cause de l’érosion. » Et James Eskridge, qui porte un tee-shirt aux couleurs de Donald Trump, ajoute : « Ce serait une bonne chose s’il pouvait venir ici pour construire un mur. On en veut bien nous de son mur ! Sinon, il nous ne restera plus qu’à prier. »

« Une histoire unique »

Tangier a été découverte en 1608 et est fière de son héritage. Elle a accueilli des esclaves en fuite avant la guerre de Sécession, et c’est de l’île que les Britanniques sont partis à l’assaut de Baltimore en 1814. Mais l’endroit où les colons anglais avaient bâti leur fort a disparu sous les eaux. « Il faut sauver notre île, son histoire est unique », plaide Claudia Parks, dont la famille vit à Tangier depuis quatre générations. Mais pour combien de temps encore ? C’est la seule question qui taraude cette jeune grand-mère. « Moi je me fiche de savoir quelles sont les causes du phénomène, ce qu’il faut c’est que le problème soit résolu, pour que nos petits enfants puissent continuer à venir et profiter de notre merveilleux mode de vie », explique-t-elle avant de repartir à vélo, le long de l’école, montée sur pilotis.

Un peu plus loin à la poste, les discussions vont bon train. Un pêcheur s’indigne : « Ils ont construit une immense digue pour sauver un îlot inhabité plus au nord dans la baie. Les écologistes en ont fait une réserve naturelle. Mais nous autres, êtres humains, il n’y a personne pour nous sauver ? »

L’île de Tangier est sur le territoire de l’Etat de Virginie, beaucoup moins riche que le Maryland situé plus au nord. Le coût de la digue, de ce mur marin qui pourrait sauver l’ile, est estimé à au moins dix millions de dollars : une somme impossible à réunir sans l’aide fédérale… ou celle directe du président. « Le projet est dans les cartons depuis vingt ans. Si on avait conservé l’argent dépensé pour financer toutes les études menées sur le sort de notre île, nous aurions de quoi payer une belle digue », raille, amer, le maire de Tangier.

Devant le ponton auquel il a amarré sa barque, Cameron Evens embrasse la baie de son regard clair. « L’année prochaine, je quitterai l’île pour aller étudier à l’université. La vie et les gens d’ici vont me manquer, je reviendrai tous les week-ends », se promet-il. Et le jeune homme ajoute, les yeux toujours rivés sur les flots : « Plus tard, je ne sais pas où je vivrai. Mais si l’île disparait, je n’aurais plus de racines, plus de lieu où me ressourcer. Qui sait, nous serons peut-être les premiers réfugiés du continent américain. »

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI

Partager :
Page non trouvée

Le contenu auquel vous tentez d'accéder n'existe pas ou n'est plus disponible.