Accéder au contenu principal
Pérou

Pérou: « Ñuqanshik », premier journal télévisé en langue quechua

Le 12 décembre 2016 marquait le début à la radio et à la télévision publique péruviennes du premier journal entièrement réalisé en quechua, une langue indigène. « Ñuqanshik » correspond à une demande du président Pedro Pablo Kuczynski qui a souhaité à son arrivée au pouvoir que l’Etat ait un contact plus direct avec la population dont l’espagnol n’est pas la langue maternelle.

Un studio de télévision (photo d'illustration).
Un studio de télévision (photo d'illustration). GettyImages
Publicité

Avec notre correspondant à Lima, Eric Samson

Il est 5h30 du matin dans la régie de la télévision publique péruvienne. Les ordres commencent à fuser dans un curieux mélange de quechua et d’espagnol. L'émission « Ñuqanshik » vient de commencer sous l’œil attentif de la productrice générale, Carol Ruiz.

« Ñuqanshik signifie "nous tous", ceux qui parlent mais aussi ceux qui écoutent, personne n’est oublié, explique-t-elle. La première mission du journal en quechua est de lutter contre la discrimination et d’assurer le droit à l’information. Les Indiens quechuas du Pérou, et en général les peuples premiers, ont été victimes de racisme et de discrimination dans la société et dans les médias. Les Indiens écoutaient les informations dans une langue qui n’était pas la leur et souvent les nouvelles les concernant n’étaient pas objectives ».

Ñuqanshik dispose aujourd’hui de correspondants en quechua dans cinq régions du Pérou, plus deux présentateurs et un reporter à Lima. Ce matin-là, Raul Chilra couvre le soulèvement de détenus dans une prison de la capitale.

Pour le reste du pays, le journal traduit les reportages produits en espagnol par les autres correspondants de la télévision publique car le personnel formé est toujours rare, rappelle Carol Ruiz.

« Trouver des professionnels de la communication, des journalistes, parlant quechua ou aymara est très, très difficile, selon elle. Les universités n’en forment pas beaucoup, surtout en province. Je ne parle même pas du personnel technique, du directeur, du switcher, des cameramen qui devaient comprendre le quechua. C’était vraiment un défi ».

Modernité du quechua

Ñuqanshik s’adresse aux 4 millions de Quechuas dispersés dans le pays, de la côte à l’Amazonie, en passant par Lima où ils sont près de 500 000. En quelques mois, le premier journal en quechua du Pérou a déjà gagné son public, se félicite le présentateur Clodomiro Landeo.

« Apparemment, après tant de crises et de révoltes sociales, tant bien que mal, nous nous ouvrons à la modernité, explique t-il à RFI. Il y a par exemple des universités partout en province. Leur qualité est inégale mais ce sont tout de même des espaces de discussion qui s’ouvrent. C’est vrai, le Pérou a des réalités différentes selon que l’on vive sur la côte, dans les Andes ou en Amazonie. Mais notre thèse ici, c’est que l’on peut se sentir péruvien indépendamment de l’endroit où l’on vit ou de ses racines ethniques ».

Clodomiro et sa collègue Marisol Mena ont d’ailleurs choisi de ne pas présenter le journal en habits traditionnels. « Je crois que les vêtements indigènes, nos jupes, nos chapeaux sont très importants car c’est notre culture mais en même temps nous souhaitons combattre cette idée reçue qui ne voit le Quechua que comme un paysan sur son lopin de terre, quelqu’un qui n’a pas étudié, qui n’avance pas, explique Marisol Mena. Non, aujourd’hui, le Quechua est aussi un professionnel, un homme d’affaires, un activiste, un politicien, le Quechua peut tout faire. Je crois qu’ici, dans l'émission, nous démontrons tous les jours qu’on peut s’habiller à l’occidentale et ne rien perdre de ses racines et de son identité ».

Cette prise de position leur a valu bien des reproches, que Marisol et Clodomiro assument au nom de la modernité et de la lutte contre la discrimination. Une discrimination contre laquelle Marisol Mena s’est toujours battue.

« C’est la société qui nous inculque cette mentalité machiste, la famille, l’école. Dans ma réalité andine, les femmes sont limitées à la cuisine et aux travaux domestiques, raconte-t-elle. Par exemple, moi on me disait que travailler dans les médias ce n’était pas pour les femmes. Et pourquoi ? Moi, j’ai toujours été une rebelle chez moi. Je m’arrangeais pour faire ce qui était réservé aux hommes, comme un défi ».

« Aujourd’hui le mythe de la globalisation comme culture unique a explosé en mille morceaux, estime Clodomiro Landeo. Vous savez, une langue indigène va bien au-delà du langage, c’est un ensemble de connaissances et de valeurs qui sont importantes pour construire un tissu social solide et inclusif ».

Pour changer les choses et faire évoluer les mentalités, Ñuqanshik est un outil qui a fait ses preuves. Les média publics péruviens en sont tellement convaincus qu’ils viennent de mettre en ligne un autre journal en langue indigène, cette fois-ci en aymara.

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI

Partager :
Page non trouvée

Le contenu auquel vous tentez d'accéder n'existe pas ou n'est plus disponible.