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Journée international de la femme

[Portrait] Argentine: Ingrid Beck, le féminisme tranquille

Journaliste argentine, Ingrid Beck dirige une revue satirique. Avec une dizaine d’autres femmes, elle a lancé le collectif Ni Una Menos, « Pas une de moins », devenu en deux ans un puissant mouvement de lutte contre les violences faites aux femmes.

Ingrid Beck
Ingrid Beck RFI/Jean-Louis Buchet
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De notre correspondant à Buenos Aires,

« Ni Una Menos a d’abord été un collectif féminin, lui-même né d’un hashtag par lequel on voulait dire " arrêtez de tuer des femmes parce que ce sont des femmes ". Aujourd’hui, c’est un mouvement de protestation contre toutes les formes de violence machiste, qui constituent une chaîne dont le féminicide est le dernier maillon ». Loin de tout pathos émotionnel, Ingrid Beck évoque le combat qui la mobilise en s’efforçant d’être aussi précise que possible, et avec une pointe de distance de la voix. Elle n’est pas journaliste pour rien.

« Ni Una Menos fait aujourd’hui partie de moi, c’est une étape de plus dans le combat féministe que je menais depuis longtemps à travers d’autres moyens, sans militer pour autant dans une organisation », ajoute-t-elle. Barcelona, la revue satirique qu’elle a fondée en 2003, et qu’elle dirige toujours, serait-il un de ces moyens ? « Évidemment ! Nous y dénonçons le machisme, nous luttons pour la légalisation de l’avortement et vous ne verrez jamais dans nos pages des allusions au physique ou à la manière de s'habiller des femmes politiques que nous critiquons. »

Ingrid Beck est également la co-auteure d’un Guide inutile pour premières mères, qu’elle revendique aussi comme une sorte de manifeste féministe : « On y démonte tous les stéréotypes de la maternité - et de la paternité, d’ailleurs -, en commençant par cette idée que les femmes se doivent d’être heureuses quand elles ont des enfants ».

Naissance sur les réseaux sociaux

Féministe de longue date, donc, même si non militante, la directrice de Barcelona est très présente sur les réseaux sociaux, notamment Twitter où, sur 140 caractères, elle sait donner de la légèreté à l’humour grinçant du Charlie argentin. Et, en mai 2015, elle réagit immédiatement au tweet d’une consœur, Marcela Ojeda, qui s’insurge contre les féminicides après l’assassinat d’une adolescente par son ex-petit ami, crime qui secoue alors l’opinion.

« Il faut faire quelque chose », écrit Ojeda, en terminant sur le hashtag #NiUnaMenos. « Oui, il faut faire quelque chose, répondent Beck et une dizaine d’autres femmes, mais quoi ? » « On a tout de suite formé un groupe sur Twitter, WhatsApp et Messenger : le collectif #NiUnaMenos était né », raconte-t-elle. Après ces premiers échanges, elles se réunissent. Parmi elles, des journalistes et des écrivaines, des profs de fac et des chercheuses, des psychologues et des activistes. Certaines se connaissaient, d’autres pas.

La caricature du dessinateur Liniers pour le mouvement «Ni una menos»
La caricature du dessinateur Liniers pour le mouvement «Ni una menos» www.facebook

À (re)lire → #NiUnaMenos, mouvement contre la violence machiste en Argentine

La manifestation du 3 juin

De discussion en discussion, le collectif décide d’appeler à une manifestation publique à Buenos Aires, place du Congrès, « pour dénoncer le fait qu’une femme meurt toutes les 30 heures en Argentine, victime de la violence machiste ». Tout naturellement, #NiUnaMenos, #PasUneDeMoins, s’impose comme slogan pour la manif. Une date est arrêtée : ce sera le 3 juin. Pourquoi ce jour-là ? « Un peu au hasard. Pour nous donner le temps de nous mettre d’accord sur l’organisation et les prises de parole. Et aussi, pour que certaines d’entre nous puissent prendre une journée de congé ou s’organiser pour faire garder leurs enfants. Bref, un choix féministe ! »

Lancée sur les réseaux sociaux, la convocation pour le 3 juin est aussitôt relayée par des particuliers (des femmes surtout) mais aussi par des centaines d’organisations, et pas seulement féministes : des associations de quartier, des syndicats, des partis politiques l’appuient. Des groupes Ni Una Menos se forment dans tout le pays. On manifestera également en province. « Nous sentions qu’il se passait quelque chose de fort dans la société, mais nous n’imaginions pas ce qui allait se passer », se souvient-elle.

Le 3 juin, plus de 300 000 personnes se mobilisent à Buenos Aires, tandis que des dizaines de milliers de manifestants se rassemblent dans d’autres villes de l’Argentine. Des femmes en majorité, mais beaucoup d’hommes aussi, de toutes les classes d’âge et de tous les milieux, sans consignes politiques ni disputes partisanes, réunis sous le seul slogan #NiUnaMenos. Tout le monde a été surpris, à commencer par le collectif.

Plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées le 3 juin 2015 devant le palais du Congrès de Buenos Aires.
Plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées le 3 juin 2015 devant le palais du Congrès de Buenos Aires. JUAN MABROMATA / AFP

À (re)lire → Argentine : raz-de-marée humain contre les féminicides

Répertorier les faits et interpeller les pouvoirs publics

Du jour au lendemain, Ni Una Menos s’était ainsi installé comme le mouvement unificateur du féminisme argentin. Mais, malgré ce formidable succès qui témoignait d’une prise de conscience générale, les crimes machistes ont continué au même rythme qu’auparavant.

Ce qui montre bien, comme le dit Ingrid, que « le féminicide est le point le plus tragique, et irréparable, d’un enchaînement de violences parfois invisibles subies par les femmes ». Il fallait donc élargir le combat à l’ensemble de ces violences qui témoignent de l’enracinement, souvent inconscient, d’une conception patriarcale de la société, par-delà l’égalité proclamée entre hommes et femmes.

Le collectif d’origine, ainsi que les autres groupes Ni Una Menos surgis dans tout le pays ont alors commencé un double travail : d’une part, répertorier les discriminations, inégalités et violences qui constituent la trame du machisme installé dans la société ; d’autre part, interpeller les pouvoirs publics, la justice et la police, trop souvent défaillants à l’heure de protéger les femmes.

Et c’est sur des revendications plus larges, tout en dénonçant les crimes machistes en priorité, que de nouvelles manifestations ont été organisées le 3 juin puis le 19 octobre 2016, celles-ci doublées d’un appel à une grève des femmes d’au moins deux heures, suivie par des dizaines de milliers d’entre elles. Une première qui fera tache d’huile : ce 8 mai 2017, il y aura des grèves de femmes dans une quarantaine de pays, dont l’Argentine bien sûr.

« Il faut continuer à se battre »

Le succès de Ni Una Menos, qui a aussi lancé une grande enquête en ligne sur la violence machiste en Argentine, dirigée par Ingrid Beck, s’explique sans doute en grande partie par le fait que le mouvement est resté fidèle à l’esprit du collectif d’origine, composé uniquement de femmes, sans hiérarchie ni centralisation.

Mais quel bilan peut-il afficher, au-delà de la prise de conscience, alors que rien ne semble changer, chaque jour apportant la nouvelle d’une femme tuée, souvent par son compagnon ou ex-compagnon ? « C’est dur, mais je ne me décourage pas, dit Ingrid. Il faut continuer à se battre. Pour que les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités. Pour que la justice et la police fassent leur travail. Et pour éduquer. C’est avec les nouvelles générations qu’on approchera une société non machiste. Je veux y croire », dit cette mère de deux garçons de 14 et 8 ans.

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