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Etats-Unis

Etats-Unis: le réveil de Charlotte

La mort de Keith Lamont Scott, un noir américain abattu par la police le 21 septembre a suscité une vague de protestations sans précédent à Charlotte, en Caroline du Nord. Une nuit d’émeutes au cours de laquelle un manifestant a été tué, et des manifestations chaque jour de la semaine ont troublé le quotidien habituellement tranquille de cette ville du sud est des Etats-Unis. La communauté noire tente de s’organiser, pour que de tels drames ne se reproduisent plus. Reportage.

Rassemblement au parc Marshall  ce samedi après-midi, 24 septembre 2016.
Rassemblement au parc Marshall ce samedi après-midi, 24 septembre 2016. RFI/Anne Corpet
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Casqués, revêtus de leur treillis et gilet pare-balles, fusils mitrailleurs en bandoulière, les soldats de la garde nationale stationnent devant l’hôtel Omni. Ils ont été appelés pour maintenir le calme après la nuit d’émeutes qui a suivi la mort de Keith Lamont Scott, un homme noir de 43 ans abattu par la police le 21 septembre dans des conditions encore mal élucidées. Aux pieds des soldats sur le trottoir, le nom de tous les Noirs tués au cours des dernières années par la police américaine a été tracé à la craie.

Celui de Justin Carr, 26 ans, est inscrit en caractères plus imposants que les autres. Le jeune homme a été atteint d’une balle dans la tête lors de la nuit de mercredi à jeudi, quand la jeunesse noire des quartiers périphériques est venue crier sa douleur dans les rues du centre-ville, et saccager quelques commerces. Il est mort le lendemain à l’hôpital.

Les soldats de la garde nationale sont détendus : ils saluent les passants, posent à l’occasion pour une photo, vont siroter à tour de rôle leur café dans le hall de l’hôtel. A Charlotte, cinq jours après la nuit d’émeute, l’état d’urgence est toujours en vigueur, la colère de la jeunesse noire reste vivace et se traduit chaque jour par de nouvelles manifestations, mais le climat est pacifié.

Charlotte sort de sa torpeur

Dans le parc Marshall, au sud de la ville, des centaines d’habitants se rassemblent ce samedi après-midi. Le soleil brûlant étincelle sur la statue en bronze de Martin Luther King érigée à l’entrée des jardins. « Lui aussi a été tué, il ne faut pas l’oublier » remarque Hannah Barnhardt, 35 ans, venue participer à l’organisation de la manifestation. Née à Charlotte, la jeune femme se réjouit de voir qu’elle n’est pas la seule blanche à avoir fait le déplacement : « ce mouvement appartient à la communauté noire, mais nous devons les aider. Quand je discute avec mes copines noires, je suis horrifiée de ce qu’elles endurent comme remarques racistes au quotidien. »

La foule est néanmoins composée en majorité de jeunes Afro-Américains. Certains sont venus avec des instruments de musique, beaucoup ont inscrit au feutre sur leur bras le numéro de téléphone de la personne à joindre si nécessité. Mais pour l’heure, des volontaires distribuent fruits et sandwiches, l’atmosphère est bon enfant.

Sous une petite tente, Jessie Carett, foulard rouge autour de la tête, collecte les coordonnées des personnes prêtes à participer à l’organisation du mouvement « Uprising Charlotte » (Charlotte se lève), né la veille et qui fédère de nombreuses associations locales. Une longue file s’est formée devant son stand. « Charlotte a une longue histoire d’actes racistes. Keith n’est pas le premier noir abattu par la police. Mais c’est la première fois que les gens se mobilisent. Charlotte sort enfin de sa torpeur, comme Atlanta ou Fergusson avant elle » se félicite-t-elle.

Sur la petite scène qui a été érigée dans le parc, les discours succèdent aux prestations artistiques. « Nous sommes debout, et nous le resterons ! » lance un orateur sous les acclamations de la foule qui reprend en cœur le slogan « Black Lives Matter » (la vie des noirs compte). Deedee Jackson prend le micro. Ses yeux noirs sont cernés par plusieurs nuits sans sommeil, mais son énergie électrise la foule. « Nous avons besoin de plus d’argent pour l’éducation, le logement, les associations de quartier. La ville de Charlotte dépense trop de ressources pour une police qui assassine nos frères, et pas assez pour notre communauté ! Nous devons nous faire entendre et inverser la tendance ! C’est avec nos impôts que la ville achète les armes qui ont abattu nos frères ! ».

Circulant dans la foule, Lucy James distribue des prospectus qui appellent au boycott des grandes compagnies américaines. « Pas un dollar ne doit être dépensé en dehors de la communauté  lance-t-elle, faites vos courses chez les commerçants de votre couleur. C’est le seul moyen de faire comprendre aux grandes sociétés américaines qu’il y a de l’injustice dans ce pays ! »

« Leur colère est justifiée »

Lentement, le cortège s’ébranle et rejoint Trade Street, l’artère principale de la ville, suivi de policiers à bicyclette. Brassard fluo noué au bras, Eddie Thomas surveille le cortège qui s’immobilise bientôt devant la prison. « Je suis là pour éviter les incidents, mais je ne peux pas contrôler la colère de la foule. Mercredi soir, nous avons été totalement débordés par les jeunes venus en découdre » avoue-t-il dans un sourire. Et il ajoute : « Je déplore les bris de vitres et les pillages, mais je comprends cette rage. Notre colère est justifiée. »

Quelques mètres plus loin, le capitaine de police Mike Campagna observe la foule. « Ces gens font valoir leur droit à la liberté d’expression, un droit fondamental aux Etats-Unis. » Le capitaine dit ne pas craindre de nouvelle émeute et précise : «Depuis mercredi, nous avons noué de solides contacts avec quelques responsables. Ce sont eux qui nous signalent les personnes aux intentions les plus belliqueuses.» Interrogé sur l’attitude de ses pairs vis-à-vis des jeunes de la communauté noire, le capitaine concède que « le racisme est une réalité dans les rangs de la police comme dans le reste de la population en Caroline du Nord. Mais quand un policier sort son arme, c’est toujours parce qu’il se sent menacé. » Dans le cas de Keith Scott, abattu par un policier noir, il ne s'agit pas de racisme mais sans doute bien de frayeur incontrôlée.

Au mégaphone, une jeune femme s’époumone en désignant les hauts murs du pénitencier. « Liberté pour nos frères injustement interpellés pour avoir exprimé leur colère ! » Les détenus frappent en cadence sur les fenêtres de leurs cellules. Le cortège repart, longe le tribunal, et s’arrête à nouveau devant le centre de police, gardé par des soldats. Les gardes nationaux ruissellent de sueur sous leur casque. « Lâchez vos armes, ôtez vos gilets pare-balles, nous ne sommes pas des émeutiers ! » hurle un jeune homme juché sur une statue. Jasemont Wright, 17 ans, distribue des bouteilles d’eau dans la foule. Son téléphone sonne : « mes parents m’appellent toutes les heures, ils sont inquiets pour ma sécurité » rigole la jeune fille en snobant l’appel, « mais ils soutiennent notre mouvement. Eux aussi ont grandi dans une Amérique qui n’aime pas les Noirs. »

Avec Trump, ce serait pire

Les quelques centaines de manifestants continuent leur périple. Depuis cinq jours, le cortège emprunte le même parcours rectangulaire d’environ cinq kilomètres dans les rues du centre-ville, et s’immobilise devant les mêmes lieux symboliques : la prison, le centre de police, l’hôtel Omni. Peter Norris participe pour la première fois ce samedi au défilé. Son costume et sa cravate détonnent parmi les tenues décontractées des autres manifestants. Il porte un badge à sa propre effigie sur le revers de sa veste. Peter Norris se présente aux élections locales de novembre, dans un district rural où il avoue n’avoir aucune chance de l’emporter. « Je ne suis pas ici en campagne, je suis là pour montrer que certains blancs âgés aussi se sentent concernés » explique-t-il simplement.

Interrogé sur l’impact éventuel du mouvement sur le scrutin présidentiel prochain, le candidat démocrate lâche : « Je sais que cette jeunesse n’est pas particulièrement enthousiaste à l’égard d’Hillary Clinton, mais elle doit comprendre que si Donald Trump est élu, leur sort sera encore pire. » Comme en écho, un orateur prend le mégaphone et lance : « jeunes noirs de Charlotte, j’espère que vous êtes tous inscrits sur les listes électorales ! Il sera trop tard pour pleurer si Trump est élu président parce que vous n’aurez pas voté ! »

Juché sur un escabeau au carrefour, un pasteur en aube noire domine la foule et répète dans son micro, branché sur un amplificateur à plein volume : « Jésus vous sauve, Jésus vous sauve…»

La nuit est tombée sur Charlotte, et, à l’issue de plusieurs heures de marche, le cortège s’est arrêté devant l’hôtel Omni où Justin Carr a été touché par une balle en pleine tête pendant la nuit d’émeutes. Des centaines de personnes sont assises à même le bitume en signe de recueillement, et lèvent le poing vers le ciel. Les mégaphones et musiciens se sont tus. Un couple de retraités noirs observe la scène : « Je comprends la colère de ces jeunes, mais il faut que ces manifestations cessent. Ce n’est pas comme cela que les choses vont changer » déclare l’homme appuyé sur sa canne. Et serrant son sac à main contre son ventre, sa femme ajoute : « oui, qu’ils aillent plutôt travailler. Le meilleur moyen pour un Noir de s’en sortir, c’est d’être éduqué. Charlotte doit retrouver sa tranquillité. »

Dans le hall de l’hôtel Omni, à l’abri des regards extérieurs derrière les planches destinées à protéger la façade vitrée, les soldats de la garde nationale plaisantent et se resservent un café.


Les circonstances floues de la mort de Keith Lamont Scott

Sous la pression des manifestants qui réclamaient la diffusion de la vidéo depuis plusieurs jours, la police de Charlotte a finalement rendu publique samedi soir une partie de la séquence tournée mardi soir dans le quartier pauvre du nord-est de la ville où Keith Lamont Scott a été tué, et fourni les photos d’un pistolet qu’elle a attribué à la victime. Mais les images ne suffisent pas à éclaircir les circonstances exactes de sa mort. Elles ne montrent pas Keith Lamont Scott en position menaçante, il apparaît de dos les bras le long du corps.

Sur place pour procéder à une interpellation sans lien avec Keith Lamont Scott, la police affirme être intervenue après avoir constaté qu’il possédait une arme et de la marijuana (la photo d’un joint entamé a également été fournie aux médias par les policiers.) Une autre vidéo avait été mise en ligne dès vendredi par la presse, tournée par l’épouse de Keith Lamont Scott à l’aide de son téléphone portable. On y entend clairement celle-ci crier aux policiers : « Ne tirez pas, ne tirez pas, il n’est pas armé ! »

Mais à l’adresse de son mari elle hurle « Ne fais pas cela, ne fais pas cela » sans plus de précision, ce qui renforce les soupçons sur le fait que son mari pouvait détenir une arme. Mais le port d’arme visible est légal en Caroline du Nord, et sous réserve d’un permis en règle, il ne constitue donc pas une infraction. Une enquête indépendante a été ouverte. Le policier auteur du coup de feu est en congé administratif.

[Diaporama] Les Manifestations dans les rues de Charlotte

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