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Culture

Art: à Bruxelles, Sindika Dokolo propose un autre regard sur l’Afrique

L’exposition « IncarNations », à Bruxelles, montre pour la première fois les pièces phares de la collection d’art africain de Sindika Dokolo, dans une scénographie originale.

Kendell Geers, le co-commissaire de l'exposition «IncarNations» à Bozar, devant une oeuvre du Nigérian Yinka Shonibare.
Kendell Geers, le co-commissaire de l'exposition «IncarNations» à Bozar, devant une oeuvre du Nigérian Yinka Shonibare. RFI/Sabine Cessou
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« Apprenons à nous regarder. Comme dit Césaire, l'art occidental identifie les choses et l'art africain s'identifie. C'est un maître de l'exorcisme qui donne une forme physique à un esprit. On me dit que j'ai deux collections, une d'art classique, une d'art contemporain. En fait, je n'en ai qu'une, car cet art puissant est fait d'objets vivants qui vous regardent en retour jusqu'au fond de votre âme. »

Ainsi parlait l’homme d’affaires congolais Sindika Dokolo, 46 ans, à l’ouverture fin juin de l’événement « IncarNations, African Art as Philosophy » au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (Bozar). Ouverte jusqu’au 6 octobre, cette exposition-fleuve invite à une promenade à travers les plus belles pièces de sa collection privée, la plus grande en Afrique. Dans un dialogue curatorial avec le plasticien sud-africain Kendell Geers, d’origine Afrikaner, le collectionneur entend démonter les attentes du public européen, afrodescendant ou pas, vis-à-vis d’une Afrique encore trop souvent fantasmée. Tout tourne autour du concept de nkizi, le fétiche, à la fois objet et esprit. « J’ai fait de tout le musée un nkizi », explique Kendell Geers.

Murs vides et oeuvres au centre

Aucune oeuvre n’est donc accrochée aux murs, recouverts d’un papier peint agressif à motifs géométriques qui suggèrent l’Afrique. En trompe-l’oeil, on peut y lire les mots « Lie » (mensonge en anglais) et « Believe » (croire). Les oeuvres sont condensées au centre des salles et fixées sur des structures métalliques qui rappellent ces grillages omniprésents en Afrique du Sud. Leur agencement est d’ordre politique : il commence avec des oeuvres traitant de l’apartheid, répondant à des photographies de Stephen Shames du mouvement des Black Panthers aux États-Unis. Les pièces d’art ancien sont disséminées au fil de l’exposition, répondant aux créations contemporaines.

« La scénographie vise à casser les idées reçues sur nous-mêmes, Africains, et à tendre des miroirs pour apprendre à se regarder et se célébrer, explique Sindika Dokolo. Il s’agit d’en finir avec le mensonge, ces idées fausses qui marquent tout ce que nous savons ou croyons savoir sur nous-mêmes. Aussi ai-je évoqué un existentialisme africain à l’ouverture de l’exposition. Un thème central à mon sens, dans la mesure où les Africains se définissent d’abord et avant tout par les choix et les actes qu’ils posent. Les Afrodescendants, dans leur immense majorité, pensent que leur histoire a commencé le jour où le Blanc a posé son regard sur un Noir. Le résultat s’apparente à une castration absolue, qui va à l’encontre de toute idée de développement et d’épanouissement. »

Sortir des visions binaires n’est pas un pari tout à fait gagné. Lors d’une visite guidée organisée fin août par le collectif afrodescendant Bruxellois Bamko, une visiteuse a apostrophé Kendell Geers sur son « africanité » revendiquée, peu crédible à ses yeux en raison de son statut de dominant, en tant que Blanc. Réponse de l’artiste, qui a dû rappeler ses faits d’armes dans la lutte anti-apartheid et sa période d’exil : « Je suis un Africain, et totalement d’accord avec vous ».

Une pléiade de talents

Tous les grands noms sont présents, notamment sud-africains et nigérians, avec Yinka Shonibare, Zanele Muholi, Santu Mofokeng, Tracey Rose, etc. En dehors d’une vidéo géante et hallucinée du groupe de hip-hop-rave sud-africain blanc Die Antwoord, réalisée avec le photographe Roger Ballen, le clou de l’exposition, dans sa dernière salle, tourne autour d’une tête Ifé ancienne du Nigeria, que des masques venus de différentes régions regardent, posée sur des miroirs. « Lorsque les Européens ont découvert ces têtes Ifé, un comité scientifique s’est réuni pour dire qu’aucune civilisation non hellène ne pouvait sculpter de cette manière, commente Sindika Dokolo. Le masque en bois, de son côté, n’est pas une œuvre d’art, mais un objet utilisé, avec un rôle, une personnalité. Il est habité. On lui redonne vie avec la volonté d’un libre arbitre, pour le libérer de la sorcellerie coloniale. »

Sindika Dokolo, gendre de l’ancien président de l’Angola José Eduardo dos Santos, prend enfin le risque de s’exposer au public. Grâce à ses activités dans le ciment, les télécoms, les mines et le pétrole, il a acquis depuis 2004 plus de 3 000 œuvres d’art. Il refuse cependant d’apposer des chiffres à sa collection, en nombre de pièces ou en valeur marchande.

« Accomplir un travail sur soi-même »

Acquéreur pour 3 millions de dollars du fonds photographique de la Revue noire, magazine d’art pionnier lancé en 1991 à Paris, il a aussi racheté la collection de l’Allemand Hans Bogatzke. Il a lancé une triennale à Luanda pour montrer les oeuvres au public, s’entourant de l’artiste angolais Fernando Avim et du célèbre commissaire d’exposition franco-camerounais Simon Njami. À la tête de sa fondation, il envisage d’ériger un musée d’art contemporain à Luanda. Un engagement qu’il considère comme politique - un champ dans lequel il a décidé de s’engager en lançant en août 2017 un mouvement citoyen apolitique en République démocratique du Congo (RDC), « Les Congolais debout ».

« Les miroirs me semblent intimement liés à l’art, conclut Sindika Dokolo. Je ne définis pas l’art et encore moins l’Afrique, mais je cherche à souligner toute la valeur ajoutée d’un continent, passée complètement inaperçue. En Belgique, on a émasculé cet art africain qui m’émeut tant, en le mettant sous cloche et en faisant abstraction de son contexte et de ses fonctions. Je ne suis pas un gourou. Je dis simplement que l’œuvre qui vous regarde droit dans les yeux jusqu’au plus profond de votre âme vous invite à accomplir un travail sur vous-même. C’est ce qu’on appelle la culture. » Temps fort de la rentrée à Bruxelles, l’exposition devrait tourner ailleurs dans le monde. Riche et non didactique, elle propose divers niveaux de lecture, ouverts à l’interprétation libre du public.

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