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Fespaco 2017 / Cinéma / Algérie / France

«Le Puits» au Fespaco: «Une nouvelle vision de la guerre d’Algérie»

Comment transformer l’histoire d’un village assiégé, des femmes et des enfants assoiffés par l’armée coloniale française pendant la guerre d’Algérie, en histoire universelle ? Avec Le Puits, le réalisateur algérien Lotfi Bouchouchi, né en 1964 à Alger, a réussi à éviter le piège d’un récit patriotique et rend le récit universel et intemporel tout en demandant aux Occidentaux de ne plus fermer les yeux sur le passé. En lice pour l’Étalon d’or de Yennenga, qui sera décerné samedi 4 mars 2017, au Fespaco, le plus grand festival panafricain de cinéma, le film, dédié à sa mère, rend hommage aux sacrifices des femmes et des civils, souvent oubliés, et mobilise la force de l’humanité qui se trouve à l’intérieur de chacun. Entretien.

Lotfi Bouchouchi, réalisateur algérien du film «Le Puits», en lice pour l’Etalon d’or de Yennenga au Fespaco.
Lotfi Bouchouchi, réalisateur algérien du film «Le Puits», en lice pour l’Etalon d’or de Yennenga au Fespaco. RFI / Siegfried Forster
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RFI : Pourquoi était-ce absolument nécessaire pour vous de tourner Le Puits ?

Lotfi Bouchouchi : Au début, c’était un concours de circonstances, des moyens que l’Algérie avait mis dans le cadre du 50e anniversaire de l’indépendance. Ensuite, c’était une aubaine pour trouver une nouvelle vision, une nouvelle approche de la guerre d’Algérie et de toutes les guerres, et pour mettre en avant les femmes qui ont combattu et les enfants, et les civils qui ont beaucoup souffert. C’est une chose qu’on ne montre pas souvent dans les films, surtout dans les films de guerre dans nos pays africains.

C’est l’histoire d’un village assiégé. Les Français y soupçonnent un nid de fellaghas. En réalité, il y a des femmes et des enfants qui ont le choix entre mourir de soif et se faire tuer : une parabole sur le colonialisme, les Français en Algérie. Au cœur de l’histoire se trouvent des femmes et des enfants, autrement dit l’avenir. Est-ce votre but, de parler de l’avenir ?

Je voulais parler d’une période juste avant l’indépendance. La toile de fond est la guerre d’Algérie. Mais cette situation-là peut être projetée n’importe où, à n’importe quel temps. Au Moyen-Age, vous pouvez retrouver une situation pareille. Aujourd’hui aussi, dans certains pays comme la Syrie, et dans quelques années encore, malheureusement, cette situation peut revenir. C’est juste une situation de gens armés en face d’une population civile démunie.

À aucun moment, on a l’impression qu’il s’agit d’un film patriotique. Au contraire, une réflexion revient souvent en force, exprimée par les femmes du village gardant l’espoir d’une solution : « Eux sont comme nous. Eux aussi sont des enfants de David. Ils ne vont pas nous tuer ».

Tout à fait. Dans le film, à un moment donné, la comédienne principale dit : « C’est une question de volonté. Leur volonté contre la nôtre ». Ces soldats défendaient leur peau et défendaient peut-être un colonialisme dans un pays très lointain. Ils n’étaient pas très convaincus. Les autres défendaient leur peau, c’était leur vie qui était en danger. Donc la volonté était beaucoup plus forte chez les gens qui défendaient leur vie que chez les gens qui essayaient tout simplement soit de se défendre, soit de défendre une cause dont ils n’étaient parfois même pas convaincus, de rester dans un pays sans être invités. En même temps, je trouve, Le Puits nous ramène, nous, Africains, pays colonisés à l’époque, et pays colonisateurs, l’un en face de l’autre.

Que signifie cela pour le monde d’aujourd’hui ?

Aujourd’hui, si on veut qu’on comprenne ce qui se passe en Europe avec la deuxième et la troisième génération, il faut s’ouvrir les yeux avec des films comme celui-là. Si les Occidentaux continuent à fermer les yeux sur ce qu’ils ont fait, sur ce qui s’est passé, sur la spoliation de tous ces pays africains, de toute façon, arrivera un moment où tout va exploser. Donc l’idée est de, au moins, le reconnaître et de repartir, après, ensemble, sur des choses de l’avenir. Et ne pas continuer à faire l’autruche.

Les pays occidentaux ne veulent même pas comprendre ce qui se passe en ce moment avec les terroristes de Daech, etc. Tous ces gens-là, c’est la troisième et la quatrième génération de gens qui ont subi un peu la même chose que les personnages du film Le Puits, peut-être encore un peu plus ; leurs parents avaient subi cela. Donc, à mes yeux, c’est une continuité. Il faut tout simplement rappeler à tous ces gens-là que l’Europe ne s’est pas faite comme ça et que l’Afrique n’est pas aujourd’hui dans cette situation-là sans pour autant avoir été spoliée.

Vous avez déjà reçu pour Le Puits plus d’une dizaine de prix, du Festival de Carthage aux Vues d’Afrique à Montréal, au Canada, en passant par Mascate, Oman. Que pourrait rajouter un Étalon d’or au Fespaco ?

Je pense qu’on est encore loin d’un Étalon d’or. Je sais que c’est un film qui a plu. Ici, au Fespaco, la salle a beaucoup apprécié, beaucoup applaudi. Pour moi, c’est déjà un prix. Le film voyage, depuis un an et demi ; il est demandé un peu partout dans le monde. Ca veut dire que toutes les populations se projettent dans ce film. Ma réussite n’est pas d’avoir fait un beau film ou un film avec de beaux comédiens mais que le thème en soi touche un peu toute l’universalité. C’est ça qui me plaît dans ce film.

L’affiche du film «Le Puits», réalisé par l’Algérien Lotfi Bouchouchi.
L’affiche du film «Le Puits», réalisé par l’Algérien Lotfi Bouchouchi. Fespaco

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