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Football

«Magique système», un ouvrage sur l’envers du décor du foot africain

Barthélémy Gaillard et Christophe Gleizes ont enquêté durant plusieurs mois sur l'envers du décor du ballon rond en Afrique. Magique système, l’esclavage moderne des footballeurs africains jette une lumière crue sur une « traite particulièrement opaque, où le footballeur africain ne vaut guère plus qu’un simple kilo de coton ou de cacao ». Un univers où le cynisme et l’appât du gain d’intermédiaires, de pseudo-formateurs ou de dirigeants de clubs et de fédérations broient des vies par milliers. Entretien.

La couverture de «Magique système, l’esclavage moderne des footballeurs africains» (éditions Marabout).
La couverture de «Magique système, l’esclavage moderne des footballeurs africains» (éditions Marabout). éditions Marabout
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RFI : Le système que vous décrivez dans votre ouvrage Magique système, l’esclavage moderne des footballeurs africains est-il véritablement spécifique à l’Afrique ?

Barthélémy Gaillard : Totalement ! Le foot business, au niveau mondial, fonctionne avec un centre, l’Europe, et des périphéries, qui le nourrissent en joueurs. Ça, ça concerne toutes les périphéries du monde du football, y compris l’Amérique du Sud.

Mais, à la différence de l’Amérique du Sud par exemple, la spécificité du football africain, c’est que les championnats et les équipes locales sont dans l’incapacité totale de retenir leurs joueurs une ou deux saisons comme Santos a pu le faire avec Neymar. Il a pu rester parce que les clubs brésiliens sont capables de sortir un peu le chéquier. Le joueur peut quand même gagner une somme considérable sur place. Du coup, ça retarde un peu son départ, lorsqu’il a 23 ou 24 ans, un âge plus raisonnable.

C’est inenvisageable sur le continent africain. On l’a constaté à maintes reprises. On a par exemple parlé à trois jeunes joueurs maliens à qui on avait promis un essai dans un club de premier ordre en Europe. La perspective de gagner 3.000 euros (environ 2 millions de francs CFA), pour eux, c’était déjà énorme.

C’est impossible pour un club sur place, économiquement et rationnellement, de retenir un joueur en lui disant : "Reste deux ans de plus, on s’aligne sur ce salaire." C’est vraiment ça, la spécificité du continent africain. Et c’est pour ça que les gamins partent aussi jeunes [...].

La première chose qui frappe l’esprit lorsqu’on lit votre livre, c’est l’incroyable cynisme des différents acteurs de ce « magique système » qui mentent à de jeunes garçons très souvent pauvres et plein d’espoir de réussite. On dirait presque qu’ils se confient sans la moindre gêne. Est-ce que ça a été facile de recueillir leurs confidences ?

Ça a été assez « facile ». Ces personnes ont un sentiment d’impunité tel dès lors qu’elles se retrouvent sur le continent africain qu’elles ont une parole beaucoup plus libérée. Bien plus que si on les avait rencontrées sur le continent européen. Je pense qu’elles auraient été beaucoup plus méfiantes.

Et, effectivement, le cynisme, c’est vraiment ce qui caractérise les gens qu’on a pu rencontrer. Ce sont vraiment des personnes qui spéculent sur la valeur d’un très jeune être humain, comme il pourrait le faire sur un kilo de noix de coco, une once d’or ou un baril de pétrole.

C’est d’ailleurs pour cela que, à notre sens, il est justifié de parler de nouvel or noir au sujet du joueur africain. Parce que c’est le joueur le moins cher qu’on puisse trouver dans le monde. Il est donc potentiellement l'objet du plus gros jackpot possible lorsqu’il est revendu à un autre club - s’il a percé au plus haut niveau européen - comme le Sénégalais Sadio Mané revendu 36 millions d’euros à Liverpool.

Les footballeurs africains semblent accepter certains travers de ce système – mentir sur son âge, accorder sa confiance à des gens plus ou moins crédibles – comme un mal nécessaire...

Oui, et ils ont intégré ça dans leur rationalité. Notamment deux aspects.

Il y a le trafic d’âge et d’identité qui fonctionne sur la même logique que le dopage dans le cyclisme. Dans ce sport, le dopage est tellement répandu que certains coureurs se dopent en se disant : "Je vais le faire parce que tous les autres le font." Or, là, c’est exactement pareil.

Le trafic d’âge, le fait de se rajeunir pour paraître plus séduisant aux yeux des recruteurs, est tellement répandu que les gens intègrent cette donnée et décident de se rajeunir pour être au même degré de compétitivité que les autres jeunes joueurs africains.

Je pense par ailleurs qu’il y a une certaine conscience des risques auxquels s’exposent les jeunes joueurs africains. A savoir, être en relation avec un agent qui n’a d’agent que le nom, qui a zéro réseau et va juste lui extorquer de l’argent et disparaître du jour au lendemain.

C’est vraiment le fondement de ce trafic d’êtres humains qui est à l’œuvre en Afrique. Ces joueurs n’ont pour richesse que leur espoir de réussir. Même s’ils savent qu’ils n’ont qu’une chance sur un milliard de réussir, ils vont la tenter. Parce qu’ils ont quoi d’autre comme solution ? Rester dans leur pays. Pour la plupart d’entre eux, c’est une solution inenvisageable. L’ascenseur social est bien moins efficace que s’ils deviennent footballeurs professionnels en Europe.

Ce système existe depuis deux décennies au moins et la libéralisation de la circulation des joueurs sur le sol européen, avec « l’arrêt Bosman ». Avez-vous toutefois identifié de nouvelles tendances ?

Il y a une nouvelle tendance qui s’est dessinée en 2001 lorsque la FIFA a dérégulé le statut d’agent de joueurs. Désormais, il n’y a plus de statut d’agent en tant que tel. On parle de statut d’intermédiaire. N’importe qui, grosso modo, peut devenir conseiller d’un joueur. Avant 2001, il fallait déposer une caution de 200.000 francs suisses (environ 170.000 euros actuels), il me semble, auprès de la FIFA, ce qui n’est plus le cas. Il y a donc beaucoup plus d’aventuriers depuis cette date.

La deuxième tendance, je pense, c’est que les clubs européens brouillent les pistes pour ne pas verser des indemnités de formation aux clubs africains. On a parlé du changement d’âge, mais il y a aussi le trafic d’identité. Or, avec ce trafic d’identité, on n’est plus repérable, traçable, dans les fichiers de la fédération de football du pays où on a grandi et été formé. Du coup, lorsqu’un joueur africain arrive dans un club européen, ce dernier n’a plus à verser ces indemnités de formation prévues par le règlement de la FIFA. […] C’est un nouveau moyen d’éviter de verser des sommes qui sont parfois ridicules à l’échelle des transferts du foot actuel. Ça peut être 10.000 ou 100.000 euros […]

Parmi tous les acteurs de ce « magique système », y en a-t-il un qui vous a paru davantage responsable de cette triste réalité que les autres ?

Les responsabilités sont partagées et c’est en ce sens qu’on parle vraiment de système.

Le responsable numéro un, ce sont quand même les clubs européens qui font de la spéculation sur des êtres humains à bas coûts et qu’on peut revendre pour des sommes mirifiques un, deux ou trois ans après. C’est quand même le péché originel, le mécanisme de base.

Ensuite, en deuxième lame, il y a les instances du football africain, européen et mondial qui ferment les yeux sur les écarts énormes qui sont la règle.

Car tous ces cas qui peuvent avoir l’air isolés, dont on parle dans notre ouvrage, font système. Ce ne sont pas juste de petites exceptions. C’est vraiment une logique à grande échelle.


Un ouvrage riche de témoignages et d'exemples édifiants

Barthélémy Gaillard et Christophe Gleizes ont sillonné la RD Congo et six pays d’Afrique de l’Ouest (Sénégal, Gambie, Mali, Côte d’Ivoire, Ghana, Togo) durant plusieurs mois. De ce travail de terrain, ils ont tiré les 194 pages de Magique système, l’esclavage moderne des footballeurs africains (éditions Marabout). Un ouvrage qui mélange enquête et entretiens avec des acteurs-clés de cette autre face du football africain : des joueurs forcés de mentir sur leur âge, des recruteurs véreux obsédés par le gain, des institutions (centres de « formation », fédérations, FIFA, etc.) dépassées voire parfois complices, et des clubs européens au sommet de cette pyramide. Les deux journalistes rappellent ainsi au passage une réalité souvent tue : « 70% des footballeurs africains connaissent une situation d’échec, à base de chômage, de blessures, de galères et de faux papiers. »

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